Etats-Unis Coup de blues à Fox News
Après l’euphorie des années Trump, la chaîne conservatrice voit son audience baisser, tandis que se profile un procès en diffamation qui pourrait lui coûter une fortune.
Fox News est-elle en passe d’être rattrapée par ses mensonges ? Depuis sa création, en 1996, la chaîne conservatrice a en tout cas rarement connu un début d’année aussi mouvementé. Concurrencée par de nouveaux médias de droite, comme One America News Network (OANN), malmenée par ses rivales démocrates CNN et MSNBC, qui ont le vent en poupe depuis l’élection de Joe Biden, la voilà, en prime, poursuivie en justice. Le fabricant d’urnes électroniques Smartmatic lui réclame en effet la somme phénoménale de 2,7 milliards de dollars de dommages et intérêts pour avoir diffusé des propos diffamatoires à son encontre, tenus en direct par Rudy Giuliani et Sidney Powell, deux avocats de Donald Trump. Et cela avec l’approbation non dissimulée de plusieurs animateurs.
Entre autres déclarations douteuses, les conseils trumpistes ont, lors du dépouillement du vote présidentiel, soutenu que Smartmatic avait joué un rôle dans un prétendu truquage des résultats (alors qu’en réalité elle était seulement impliquée dans les opérations électorales du comté de Los Angeles) et qu’elle était liée à l’ancien chef d’Etat vénézuélien Hugo Chavez. Ces fausses accusations ont nui à la réputation de l’entreprise, précipité ses comptes dans le rouge et déclenché des menaces et des faits de harcèlement contre certains de ses employés.
Dans les étages de la tour News Corp., la maison mère de la Fox, sur la 6e Avenue, à New York, la menace est prise au sérieux. Après avoir annulé le show de son présentateur vedette Lou Dobbs – l’un des trois animateurs accusés par Smartmatic –, la chaîne fondée par Rupert Murdoch a contre-attaqué en entamant à son tour, le 9 février, une procédure en justice. L’objectif ? Faire annuler la plainte de la société de technologie électorale au motif que la chaîne ne saurait être tenue pour responsable des propos de ses invités.
Selon Kathleen Bartzen Culver, professeure d’éthique journalistique à l’université du Wisconsin à Madison, Fox News a de bonnes raisons de s’inquiéter : « Smartmatic prouvera facilement que sa réputation a été souillée par les propos tenus à l’antenne. Le fait que les responsables de la société déposent plainte à New York, un endroit où il est historiquement difficile pour les plaignants de gagner les procès en diffamation, montre qu’ils ont confiance dans leur dossier. S’ils obtiennent ne serait-ce que la moitié du montant demandé, le coup sera très dur pour la chaîne. La somme dépasserait ses recettes. Ce qui pourrait démotiver les actionnaires et les annonceurs. »
Un malheur n’arrivant jamais seul, Fox News est également confrontée aux inconnues de l’après-Trump. Avec le départ du milliardaire new-yorkais de la MaisonBlanche, celle qui régnait en maître sur le câble a perdu sa locomotive d’audience. Entre l’élection du 3 novembre et l’investiture de Joe Biden, le 20 janvier, CNN a dominé l’Audimat dans la catégorie clef des 25-54 ans. Même la plus discrète MSNBC a devancé sa concurrente conservatrice à plusieurs reprises ! Menacée sur sa gauche, la chaîne doit aussi composer avec de nouveaux rivaux à droite, tels que Newsmax TV et OANN. L’audience de cette dernière a en effet nettement augmenté après que les journalistes de Fox News ont commis le crime de lèse-majesté de déclarer avant leurs concurrents que Joe Biden avait remporté l’Etat de l’Arizona. Une trahison impardonnable pour le clan Trump.
Sur l’ensemble de 2020, année où le dirigeant républicain a fait feu de tout bois, Fox News est toutefois restée la chaîne la plus regardée du câble, en grande partie grâce à son très lucratif prime time, où se succèdent ses éditorialistes les plus controversés, à commencer par le très cinglant Tucker Carlson et un ami personnel du président sortant, Sean Hannity. En janvier, la direction du média a annoncé que le programme d’information diffusé juste avant cette tranche de forte audience serait remplacé par une émission d’opinion, signe que la chaîne a bel et bien l’intention de s’ancrer à droite sous Joe Biden, plutôt que d’adopter une position plus modérée.
« Fox News traverse une mauvaise passe, mais cela ne va pas durer », estime John Carey, professeur de management des médias à l’université Fordham, à New York. Car elle conserve des atouts : « N’oublions pas que 40 % du pays a soutenu Donald Trump jusqu’au bout pendant quatre ans, rappelle-t-il. Le public de la chaîne, âgé et peu diplômé, lui restera fidèle, car il est en colère contre le nouveau gouvernement. Le plus grand défi du média conservateur à court terme sera de retenir les annonceurs, qui ont provisoirement pris leurs distances. »