L’Europe n’a pas le droit d’échouer
Le plan de relance est une opportunité historique, mais encore faut-il faire preuve de courage politique.
Le temps presse.
Dans un continent rongé par les colères et les tensions sociales, il est très vite apparu que la crise du coronavirus était, pour l’Union européenne (UE), différente de toutes les crises antérieures. L’Europe n’a, cette fois, pas le droit d’échouer. Mais ces circonstances offrent aussi l’opportunité unique de recréer un lien trop souvent fragilisé, abîmé, voire brisé entre nos concitoyens et le projet des Vingt-Sept. Si l’Union permet aux petits entrepreneurs qui ont un genou à terre de se redresser, aux régions sinistrées de préparer leurs économies aux défis futurs et qu’elle aide celles et ceux qui ont été durement affectés, alors elle prouvera qu’elle est bien plus que ce marché sans âme et sans chair auquel veulent la réduire ses plus féroces opposants.
Cependant, chaque jour qui passe donne l’impression que Bruxelles, pour faire écho à la maxime attribuée à Churchill, « gaspille » cette crise. Le plan de relance, sur lequel les dirigeants européens s’étaient mis d’accord dès le mois de juillet 2020, devait être un feu nourri de financements et d’aides à destination des Etats membres. Aujourd’hui, il court le risque de n’être qu’un pétard mouillé. A l’image de ce torrent de vaccins qui devait se déverser sur le continent... Nos concitoyens n’ont, jusqu’à présent, vu qu’un ruisselet.
Dans ce contexte, et alors que des élections à haut risque s’annoncent (aux Pays-Bas en mars, en Allemagne en septembre ou en France dans à peine plus d’un an), les dirigeants des principaux Etats membres doivent non seulement monter au front pour défendre l’UE, mais surtout lui permettre de répondre avec efficacité à la crise actuelle. Ils n’ont pas d’autre option : en nommant à la tête de la Commission et du Conseil des responsables dont la principale qualité est de ne pas leur faire d’ombre, ils ont fait le choix d’un exécutif européen dépourvu du poids politique, de la vision et du charisme indispensables pour incarner l’Union en ces temps difficiles. A eux, maintenant, de l’assumer.
Monter au front, cela suppose, pour un chef d’Etat comme Emmanuel Macron, de rappeler que les mesures courageuses prises au début de la crise demeurent, malgré des failles en termes d’exécution, pertinentes sur le fond. Oui, l’UE a eu raison de rejeter toute forme de nationalisme vaccinal et de vouloir permettre à tous ses citoyens, quel que soit leur pays d’origine, d’avoir accès aux mêmes vaccins, au même moment et au même prix. Oui, elle a su, contrairement aux crises financières de 2008 et de 2012 – où sa réponse avait été trop faible, trop lente et trop peu coordonnée –, mettre en place un plan de relance historique, dont les fondements sont les bons. Monter au front, cela implique aussi de combattre tous ceux – et ils seront nombreux – qui, dans un mélange de lâcheté et de démagogie, s’apprêtent à accuser Bruxelles d’être à l’origine de tous les maux. Si le plan de relance a, dès le départ, pris du retard, c’est d’abord parce que les dirigeants polonais et hongrois, les mêmes qui ont créé des systèmes corrompus et népotistes à coups de fonds européens, l’ont pris en otage pendant de longs mois. Monter au front, cela suppose enfin d’avoir le courage d’admettre que les blocages, les lenteurs et les insuffisances ne viennent désormais plus de Bruxelles, mais des Etats membres. Ce sont les calculs politiciens, similaires à ceux que l’on a observés récemment dans le gouvernement italien de Giuseppe Conte, couplés à la lourdeur des administrations nationales et à leur incapacité récurrente à travailler avec le secteur privé, qui risquent de retarder une juste allocation des fonds.
A cet égard, Emmanuel Macron et son ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, ne devront pas hésiter à rappeler à leurs homologues respectifs que le versement de ces aides est conditionné à la mise en oeuvre de réformes structurelles.
Ils auront d’autant plus de légitimité à le faire que la France s’engagera elle-même auprès de ses partenaires à mener certaines réformes clefs, à commencer par celles des retraites et de l’Etat. Le temps presse. Si notre président l’ignore, il se retrouvera en 2022 dans une posture très délicate pour défendre ce projet européen qui lui est si cher. Lui dont la force, en 2017, avait été d’oser mener une campagne offensive sur le sujet.
Les blocages, les lenteurs et les insuffisances ne viennent désormais plus de Bruxelles, mais des Etats membres