Union européenne Le patron des gardes-frontières dans la tourmente
Le Français Fabrice Leggeri est contesté pour sa gestion de l’agence Frontex, visée par plusieurs enquêtes, en particulier pour des refoulements de migrants.
La caméra tourne autour d’un jeune homme portant un uniforme bleu nuit, frappé du drapeau de l’UE sur le bras droit. Dans un clip à la bande-son hollywoodienne, Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de gardecôtes, dévoile sur les réseaux sociaux, ce 11 janvier, la nouvelle tenue de ses agents. Elle s’est bien gardée, en revanche, de présenter le « costume de général » créé pour son directeur exécutif, Fabrice Leggeri. Le moment serait mal choisi. Dérive autoritaire, mauvais traitements de migrants, irrégularités et lenteur dans les recrutements internes… Depuis plusieurs mois, cet énarque de 52 ans, nommé en 2015, accumule les griefs contre lui.
Au point de perdre sa place ? Le verdict pourrait tomber le 5 mars. Ce jour-là, les administrateurs de Frontex (un par Etat membre et deux représentants de la Commission) doivent examiner un rapport très attendu, celui commandé à un groupe de travail indépendant sur le rôle joué par l’agence lors de refoulements de migrants en mer Egée par des gardes-côtes grecs en violation de la convention européenne des Droits de l’homme – ce que l’on appelle des pushbacks. S’il en sort blanchi, Fabrice Leggeri n’en sera pas sauvé pour autant. Quatre autres enquêtes visent actuellement Frontex : une de la Cour des comptes européenne, qui doit être rendue à la fin du printemps ; une autre, annoncée en novembre par la médiatrice de l’UE, Emily O’Reilly, sur le respect des droits fondamentaux des migrants ; une du Parlement européen, qui doit s’ouvrir prochainement ; enfin, une dernière, de l’Office européen de lutte antifraude (Olaf ), qui a procédé à des perquisitions au siège de l’agence à Varsovie le 7 décembre.
L’Olaf disposerait d’éléments accréditant le fait que Frontex aurait fermé les yeux sur des refoulements de migrants vers les eaux turques. Les fins limiers de l’Office s’intéressent aussi à une possible fraude d’un prestataire de services informatiques, à des irrégularités dans des recrutements et à des accusations de harcèlement. Sur ce dernier point, plus que Fabrice Leggeri, c’est son chef de cabinet qui semble visé. Des employés de l’agence ont décrit à L’Express cet ancien sous-préfet, passé par le cabinet de Brice Hortefeux, alors ministre de l’Intérieur, comme « agressif », « autoritaire », susceptible de « perdre son sang-froid » et d’être « irrespectueux ». « J’ai vu des gens trembler de peur avant une réunion avec lui », précise l’un d’eux. Contacté par nos soins, l’incriminé assure s’être « toujours comporté avec beaucoup de respect et d’estime à l’égard de ses collègues ». En tout cas, Fabrice Leggeri l’a maintenu à son poste, et compte sur lui pour mener à bien une transformation profonde de l’agence. Simple institution de coopération à sa création en 2004, Frontex est appelée, depuis la crise migratoire de 2015, à devenir une force de police à part entière et un élément essentiel de la lutte contre l’immigration irrégulière aux frontières extérieures de l’UE. Riche d’un budget pluriannuel de 5,6 milliards d’euros, elle devrait avoir déployé à l’horizon 2027 un contingent de 10 000 agents.
Mais Fabrice Leggeri, dont le mandat court jusqu’en 2024, est-il en mesure de mener cette réforme ? « Personnellement, j’en doute, même s’il faut attendre le résultat des enquêtes en cours, dont celle du Parlement à laquelle je participe, pour décider s’il doit partir ou non », répond l’eurodéputée verte néerlandaise Tineke Strik. Fin janvier, la commissaire aux Affaires intérieures, Ylva Johansson, a reproché au patron d’accumuler les retards, dans le déploiement de centaines de nouveaux gardes-frontières comme dans le recrutement de trois directeurs adjoints et d’un officier indépendant chargé d’enquêter sur d’éventuelles violations des droits fondamentaux.
A Bruxelles, le dossier Leggeri inquiète d’autant plus que la gestion des migrants aux limites extérieures de l’Europe reste un sujet sensible. Frontex doit prouver que l’UE, pour la première fois de son histoire, est capable d’exercer certaines fonctions régaliennes de police – et démentir des attaques populistes l’accusant d’être une « passoire ». « Il est essentiel que Frontex soit au-dessus de tout soupçon, il y va de la crédibilité du système d’asile européen et de l’UE », rappelle-t-on à la Commission. Véritables décideurs au conseil d’administration de l’agence, les Etats membres maintiendront-ils leur confiance à Fabrice Leggeri ? La balle est dans leur camp.