Hongrie Viktor Orban, le plus chinois des Européens
Le Premier ministre accepte avec bonheur les investissements de l’empire du Milieu, au grand dam de Bruxelles. Il veut même se faire inoculer le vaccin Sinopharm.
Le chantier est colossal. A la rentrée 2024, Budapest accueillera le premier campus européen de l’université d’élite Fudan de Shanghai. Disposant d’un budget plus élevé que l’ensemble de l’enseignement supérieur hongrois, l’établissement formera 5 000 étudiants en master chaque année. Généreux, le gouvernement de Viktor Orban soutient l’achat du terrain situé au sud de Pest, près de l’île industrielle de Csepel. Montant de l’aide : 2,2 millions d’euros. Objectif : transformer la capitale hongroise en « pôle régional de connaissances », affirme le ministère de l’Innovation. Le calendrier est cruel : au moment où elle engageait les négociations avec Fudan, l’administration chassait du pays l’université d’Europe centrale fondée par le milliardaire américain d’origine magyare George Soros, la bête noire de Viktor Orban. Pépinière de l’élite politique régionale, dont une partie de l’actuel exécutif, cet établissement d’excellence a dû déménager à Vienne à l’automne 2019.
L’installation de l’université Fudan sur le sol hongrois n’est qu’un nouvel épisode de l’idylle qu’entretient Orban avec l’empire du Milieu depuis le 3 décembre 2013. Ce jour-là, le Premier ministre inaugurait à Biatorbagy, près de Budapest, le plus grand centre logistique de Huawei hors de Chine. Au coeur des 30 000 mètres carrés de l’édifice, le dirigeant prononçait un plaidoyer en faveur de la coopération sino-hongroise : « Seuls les pays ouverts à la Chine et les zones où les entreprises chinoises sont présentes auront la capacité de s’en sortir et de devenir des gagnants dans un monde post-crise. »
Et qu’importe si les Européens considèrent de plus en plus la Hongrie comme le « cheval de Troie » du géant asiatique. « En Europe occidentale, l’université de Fudan susciterait peut-être la controverse ou une certaine vigilance, confirme Tamas Matura, spécialiste de la Chine et professeur assistant à l’université Corvinus de Budapest. Mais en Hongrie, elle n’a rien à craindre. » La capitale n’accueille-t-elle déjà pas cinq instituts Confucius ? Outils du « soft power » chinois, ces centres culturels sont considérés par leurs détracteurs comme des relais de la propagande de Pékin, voire des avant-postes d’espionnage. Mais Viktor Orban n’en a cure.
Le chef du gouvernement estime n’avoir de comptes à rendre à personne – et certainement pas à Bruxelles. Le 29 janvier, lors de son interview hebdomadaire sur la fréquence publique Kossuth Radio, il déclarait qu’il se ferait injecter le vaccin Sinopharm, « car ce sont les Chinois qui connaissent le mieux le virus ». L’aprèsmidi même, Budapest annonçait une commande de 5 millions de doses, faisant de la Hongrie le premier Etat membre de l’UE à se fier à ce sérum, qui n’a pourtant pas reçu d’autorisation de mise sur le marché de l’agence européenne du médicament. Unique parmi les Vingt-Sept, le choix d’Orban s’inspire de celui de la Serbie voisine, qui inocule massivement le
Sinopharm et déroule, elle aussi, le tapis rouge aux intérêts stratégiques de Xi Jinping. Pékin finance d’ailleurs la modernisation de la ligne ferroviaire BelgradeBudapest afin d’accélérer l’acheminement des marchandises depuis le port du Pirée, en Grèce, sous pavillon chinois depuis 2008.
En Hongrie, le grand gagnant de l’opération s’appelle Lorinc Meszaros, l’oligarque favori du régime. L’une de ses entreprises aménagera les 150 kilomètres de la portion hongroise aux côtés de deux compagnies chinoises. « Ce chantier symbolique offre à la Chine une entrée dans l’UE, constate le politologue Peter Kreko, de l’institut Political Capital, à Budapest. Pékin s’achète de l’influence politique pour quasi rien. »
Voire pour rien du tout ! Le pays s’est en effet endetté sur vingt ans auprès de la banque d’exportation et d’importation de Chine afin de payer sa quote-part du tronçon Belgrade-Budapest. En avril 2020, le Parlement, largement acquis au parti Fidesz de Viktor Orban, votait la mise au secret des détails du contrat pour une période de dix ans. En Hongrie, rien n’est trop bon pour satisfaire Pékin.