« Homo responsabilis »
En observant notre société contrainte de fonctionner à distance de manière inédite, deux convictions radicalement opposées semblent s’affronter : pour certains, le modèle de banque digitale serait définitivement plébiscité, puisqu’il éviterait tout déplacement et apporterait à chacun la commodité du self-service ; pour d’autres, ce serait tout au contraire le contact humain qui aurait retrouvé ses lettres de noblesse, puisque aucune application digitale, aucun robot, aussi expert soit-il, n’a accordé un seul des
700 000 prêts garantis par l’Etat, si importants pour la continuité de l’économie.
Nous aurions tort de résumer ce débat à une simple opposition entre modernité et tradition. Et si nous avions en réalité besoin à la fois de l’humain et du digital… mais différemment ? Les consommateurs ne plébiscitent pas le numérique lorsque, silencieusement intrusif dans leur quotidien, il n’a pour but que d’optimiser la probabilité de vente de tel ou tel produit, en fonction de la catégorie dans laquelle des algorithmes opaques les ont classés. Ils n’apprécient pas plus l’humain lorsqu’il est encore excessivement soumis aux règles de décision et procédures qui lui sont imposées par son entreprise, comme un robot ou un logiciel sont contraints par leur algorithme.
En matière de digital, pourtant, il y a beaucoup à faire pour apporter une information construite et pédagogique à ceux qui affrontent une foule d’incertitudes professionnelles et personnelles. Nul système expert ne sait, en réalité, si les taux remonteront dans cinq ans ni si la fiscalité du patrimoine évoluera à ce même horizon. Mais les clients ont besoin qu’on leur permette de comprendre, d’évaluer puis de décider en toute conscience.
Ils ont besoin d’un numérique qui leur rende leur libre arbitre.
Qu’attendent-ils, parallèlement, des hommes et des femmes qu’ils souhaitent plus que jamais accessibles en proximité ? Ils n’attendent plus qu’ils agissent à leur place (le digital sera plus efficace) ni qu’ils prescrivent en experts ou en
« sachants » (l’intelligence programmée – plutôt qu’artificielle – sera plus fiable). Ils veulent de la « responsabilité » : des hommes et des femmes capables d’apprécier chaque situation dans sa complexité et son unicité, dotés de discernement, d’intelligence émotionnelle, aptes à décider in fine. Le digital remplacera « Homo tayloris », mais il devra être dominé par « Homo responsabilis ».
Cependant, nous ne passerons pas de l’organisation du travail actuelle à celle de la responsabilité en nous contentant d’investir dans le numérique ni en nous focalisant sur la seule question du télétravail, qui ne change aujourd’hui que le lieu d’accomplissement des tâches du passé. Il faut en finir avec l’idée que le digital remplacera l’humain : ce n’est pas l’homme qui doit être augmenté par le digital, mais le digital qui doit être augmenté par la responsabilité humaine. Alors cessons de questionner les entreprises sur leur transformation numérique : elle s’effectue partout et le plus vite possible. Et commençons à les interroger, à nous interroger, sur leur projet humain.