L’IA au coeur de la nouvelle guerre froide
GÉOPOLITIQUE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
EYROLLES, 208 P., 16,90 €. ✷✷✷✷✷
L’intelligence artificielle (IA) est devenue un enjeu non seulement économique évident mais aussi, ces derniers temps, éditorial. Les ouvrages sur ce thème se multiplient et, malheureusement, ce sont souvent des textes américains traduits dans un français approximatif, parfois à la limite du compréhensible. Si l’on veut avoir une vision à la fois synthétique et originale de l’IA, il faut se précipiter sur le dernier livre de Pascal Boniface, intitulé Géopolitique de l’intelligence artificielle.
Eminent géopolitologue, l’auteur a l’humilité de reconnaître que, de par sa formation qui l’a éloigné très tôt des sciences dures, ses considérations sur les aspects techniques du traitement statistique des données sur lequel repose l’IA seront de seconde main. En revanche, dès qu’il s’agit d’analyser les évolutions politiques et sociales provoquées par cette dernière, il développe sa propre expertise, ce qui donne au livre une réelle valeur ajoutée. Il revient en particulier sur la rivalité si souvent évoquée entre la Chine et les EtatsUnis. La nouvelle guerre froide que l’IA structure entre ces deux pays est naturellement comparée à celle qui opposa l’Union soviétique aux Etats-Unis.
Or, selon Pascal Boniface, à l’époque, les Etats-Unis menaient un combat sur deux fronts. Un front politique, face à l’URSS, et un front économique, face à l’Allemagne et surtout au Japon. Focalisée sur son outil militaire et handicapée par un système économique inefficace, l’URSS a finalement jeté l’éponge pour éviter que sa population appauvrie ne se révolte. Dépendant des Etats-Unis pour assurer sa sécurité, le Japon a accepté dans les années 1980 une appréciation brutale du taux de change de sa monnaie, érodant la compétitivité de son économie et le privant des moyens de faire la course en tête dans la révolution de l’IA.
La deuxième guerre froide qui oppose désormais les Etats-Unis – vainqueurs de la première – à la Chine les met face à une puissance à la fois militaire, comme l’URSS hier, et économique, comme le Japon. Une puissance qui détermine politiquement les dirigeants. Mais, pour l’auteur, la patrie de Google et de Facebook est plutôt en position de force face à une Chine qui vieillit et dont l’économie ne connaît plus les succès des vingt dernières années. Quant à l’Europe, Pascal Boniface ne la considère pas comme définitivement hors du jeu. Elle peut néanmoins, selon lui, très rapidement le devenir, si elle ne fait pas un considérable effort d’investissement. Un ouvrage documenté, clair et bien écrit, que toute personne que l’IA inquiète, ou simplement intrigue, doit lire.