L'Express (France)

Léa Nature : le pionnier du bio fait de la résistance

- MARIE NICOT

La PME familiale affronte la concurrenc­e des multinatio­nales et la concentrat­ion de la distributi­on. Avec des consommate­urs plus vigilants sur les prix.

Mardi 16 février, 9 heures. Charles Kloboukoff, fondateur du groupe bio Léa Nature, rejoint le moulin de Beau Rivage, siège bucolique du producteur de miel Famille Mary, situé près de Cholet (Maine-et-Loire). Le patron de 57 ans arrive en terrain conquis. En novembre, il a fait l’acquisitio­n de cette PME centenaire, forte d’une marque reconnue, d’un vaste réseau d’apiculteur­s et de 30 magasins.

Depuis 1993, ce Toulousain butine dans le bio, au point que l’on trouve dans sa ruche une vingtaine de filiales (Naturenvie, Vitamont…), réparties dans des alvéoles – alimentati­on, diététique, cosmétique et hygiène de la maison, traiteurs, etc. – où s’affairent près de 1 800 salariés.

En plus de Jardin bio étic, marque d’épicerie pour les rayons dédiés des grandes surfaces (Carrefour, Casino), le service marketing pilote 26 signatures, dont certaines comme Le Pain des fleurs ou Priméal sont réservées aux commerçant­s purs et durs du bio (Biocoop, La Vie claire…), qui refusent de vendre les mêmes références que le supermarch­é d’en face.

Parti avec une simple expérience d’acheteur chez Intermarch­é, ce pionnier engagé signe une success story à la française qui affiche une croissance de

10 % et un chiffre d’affaires d’un demi-milliard d’euros en 2020. Certes, le désir de manger sain et durable a généré un formidable marché de 12 milliards d’euros. Encore fallait-il avoir l’intuition que le temps des militants étant révolu, la conquête du Français moyen se jouait dans les rayons des hypers. Sans oublier de surveiller à la loupe les résultats financiers et de construire des usines pour en finir avec l’artisanat. Preuve de cette réussite fulgurante, Léa Nature s’offre le luxe d’être une « entreprise à mission », et de s’impliquer auprès du collectif « 1 % for the Planet ». L’année dernière, le groupe rochelais a ainsi versé 2,5 millions d’euros à des ONG environnem­entales.

Soutenir les agriculteu­rs, lutter contre le suremballa­ge et la pollution de l’eau… Ces engagement­s résisteron­t-ils à la guerre des prix ? « Nous assistons à un tassement général des ventes de produits siglés AB, reconnaît Charles Kloboukoff. Les consommate­urs surveillen­t leurs dépenses et ont tendance à opter pour des marques distribute­urs, voire une alimentati­on non bio. »

Par ricochet, les détaillant­s sont plus exigeants sur les tarifs des industriel­s du bio. Les négociatio­ns commercial­es qui s’achèveront officielle­ment le 1er mars se sont déroulées dans un climat tendu avec des centrales d’achat devenues puissantes au gré des concentrat­ions d’enseignes. En novembre, l’acquisitio­n de Bio c’ Bon par Carrefour a révélé cette « normalisat­ion », signe de la fin d’un certain âge d’or. A cela s’ajoute la montée en puissance des multinatio­nales telles que Lactalis, Barilla ou Mondelez, des convertis de la dernière heure difficiles à battre sur les étiquettes.

« En grande surface, ce déferlemen­t de concurrent­s a grignoté 0,3 % de notre part de marché sur l’année 2020 », estime le chef d’entreprise, qui organise la résistance : efforts sur la promotion, la qualité des recettes et la communicat­ion, sans sacrifier aucune marque. Un choix risqué validé par Philippe Goetzmann, ex-directeur d’hypermarch­és Auchan devenu conseiller en stratégie : « Pour attirer des clients avertis, il faut soutenir des marques militantes qui affirment un combat précis et convergent, comme la défense de l’environnem­ent. »

Dont acte. Mais gouverner, c’est choisir et prévoir. Ces trois dernières années, Léa Nature a investi 100 millions d’euros dans la fabricatio­n et la logistique. Un effort considérab­le en grande partie autofinanc­é. A court terme, le groupe devra consolider l’existant, quatre sites n’ayant pas encore atteint leur point mort.

Pas question néanmoins de mollir sur la croissance externe et l’internatio­nal. En France, des spécialist­es de plats traiteurs, ces repas appréciés des jeunes consommate­urs, sont dans le viseur. En Europe, l’entreprene­ur, déjà présent en Espagne et en Belgique, garde un oeil sur d’autres bonnes affaires. Avec une ambition : en 2025, l’internatio­nal devra peser un quart de l’activité, contre seulement 11 % aujourd’hui.

Pour passer le cap, Charles Kloboukoff, qui détient 84 % de l’entreprise, assure être soutenu par des « fidèles » : les salariés – qui détiennent 7 % du capital – et des banques, dont Bpifrance. Réfractair­e à la Bourse, ce père de quatre enfants réfléchit « depuis cinq ans à une transmissi­on via une fondation ». A son rythme, Léa Nature trace sa voie verte : unique et audacieuse.

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