L'Express (France)

Eboueurs de l’espace : objectif débris

- THOMAS LESTAVEL

La multiplica­tion des lancements et des déchets spatiaux met en danger les satellites en rotation autour de la planète. Des services pour désencombr­er les orbites seront bientôt nécessaire­s.

Une première dans l’histoire spatiale : le 20 mars, une fusée Soyouz décollera du Kazakhstan pour envoyer en orbite basse un démonstrat­eur de « nettoyeur », conçu par la start-up japonaise Astroscale. De la taille d’une machine à laver, l’appareil a pour mission d’attraper et de « désorbiter » des déchets spatiaux. « Nous prévoyons de commercial­iser nos services à partir de 2025 », se félicite Harriet Brettle, analyste chez Astroscale.

Le nombre d’objets propulsés depuis la Terre explose, au point que les orbites les plus prisées commencent à être saturées. « Il devient de plus en plus difficile de trouver des emplacemen­ts libres pour envoyer de nouveaux satellites », a ainsi reconnu sur CNN Business Peter Beck, PDG de l’entreprise américaine Rocket Lab. Ces satellites, civils ou militaires, circulent sur des orbites qui s’apparenten­t aujourd’hui à des autoroutes sans dépanneuse­s. Le nombre de déchets augmente depuis dix ans – des étages de fusée, des engins hors de fonction et surtout des débris issus d’explosions ou de collisions, qui continuent leur rotation à 28 000 kilomètres-heure. En 2009, le télescopag­e entre Iridium-33 de l’américain Motorola et l’appareil militaire russe Kosmos-2251 a créé des dizaines de milliers d’épaves, dont la plupart sont toujours en orbite. Comme l’illustre le film Gravity, la collision initiale provoque des réactions en chaîne – ce qu’on appelle le syndrome de Kessler. « Environ 900 000 débris de plus de 1 centimètre tournent autour de la Terre. Chacun est comparable à une Laguna lancée à 130 kilomètres-heure, qui peut “tuer” un satellite », détaille Christophe Bonnal, ingénieur au Centre national d’études spatiales. De quoi obliger la station spatiale internatio­nale à effectuer « jusqu’à quatre manoeuvres d’évitement de débris chaque année », précise Harriet Brettle.

Et la situation ne peut qu’empirer. « Si 2 des 50 objets les plus préoccupan­ts – identifiés dans une étude de 2020 – entrent en collision, le nombre total de chutes en orbite autour de la planète doublera », souligne l’ingénieur suisse Luc Piguet, PDG et cofondateu­r de ClearSpace. Sa start-up va envoyer, en 2025, un satellite doté de quatre bras robotisés pour récupérer un morceau de fusée de 120 kilos et le faire brûler dans l’atmosphère au-dessus du Pacifique. Une mission à 100 millions d’euros, financée principale­ment par l’Agence spatiale européenne (ESA).

La Nasa planche sur plusieurs technique de capture : bras robotisés, filet, harpon, grappin...

La Nasa estime qu’il faudrait « nettoyer » dix gros fragments par an pour stabiliser la situation. L’agence planche sur plusieurs techniques de capture : bras robotisés, filet, harpon, grappin… Coût de l’opération : 100 millions d’euros par an. « Mais qui serait assez fou pour aligner un tel montant pour des déchets qui ne valent plus rien ? » pointe Christophe

Bonnal. Plusieurs hypothèses sont sur la table : instaurer une taxe au décollage, mettre en place un « loyer » sur les orbites les plus demandées, ou encore partager le coût du nettoyage entre les pays au prorata de leur parc de satellites, sachant que 90 % d’entre eux appartienn­ent à trois pays : Etats-Unis, Chine et Russie. Ce dernier scénario s’avère « peu crédible, car il implique que les Chinois et les Russes acceptent de contribuer », reconnaît Christophe Bonnal.

On s’oriente plus probableme­nt vers des « remorqueur­s spatiaux » privés, qui se rendront en orbite pour réparer ou déplacer des satellites, puis se désorbiter­ont en fin de mission et en profiteron­t pour récupérer des rebuts volumineux ou dangereux, avec un coût marginal du nettoyage proche de zéro. « Ce sera l’équivalent de la camionnett­e Darty dans l’espace », évoque Christophe Bonnal. Les intérêts en jeu sont potentiell­ement colossaux, notamment pour les constellat­ions qui visent à connecter l’humanité à Internet grâce à de petits satellites. La société SpaceX d’Elon Musk compte à terme en envoyer entre 12 000 et 40 000 pour constituer la sienne, Starlink. C’est cinq fois le nombre total d’appareils propulsés depuis le premier Spoutnik de 1957… et cela implique de désencombr­er les autoroutes au-dessus de nos têtes.

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