L'Express (France)

Pas chère, l’électricit­é décarbonée ?, par Jean-Marc Jancovici

On commet une erreur en voulant comparer le prix du kilowatthe­ure issu des énergies renouvelab­les avec celui produit par le nucléaire.

- Jean-Marc Jancovici Jean-Marc Jancovici, ingénieur, chef d’entreprise, professeur à Mines ParisTech et président du Shift Project.

Depuis que le climat est devenu un sujet important, les partisans du nucléaire et ceux des énergies renouvelab­les (EnR) se livrent à une joute permanente pour savoir quel type d’électricit­é est le plus apte à remplacer celle issue du charbon et du gaz. Désormais, les seconds avancent un argument qui semble imparable : l’électricit­é renouvelab­le serait la moins chère. De fait, le courant fourni par les nouveaux réacteurs nucléaires (EPR) en constructi­on en Europe coûtera bien plus que les 10 centimes du kilowatthe­ure qu’affiche le solaire au sol, et le prix de l’énergie éolienne est plutôt deux fois moindre. La messe serait-elle dite ? Commençons par une remarque amusée : il est inattendu que les environnem­entalistes invoquent un gain économique pour soutenir un arbitrage. En effet, ils ont historique­ment critiqué toute décision avant tout basée sur les coûts, arguant, à juste titre, que ces derniers ne prennent pas en compte les dommages causés à l’environnem­ent.

Mais 1 kilowatthe­ure éolien restant dix fois plus cher que 1 kilowatthe­ure de pétrole, alors, si l’argument du prix prime tous les autres, restons au pétrole ! Admettons que l’arbitrage entre les divers modes décarbonés ne s’effectue pas sur la base d’avantages et inconvénie­nts « physiques », comme l’occupation d’espace, l’atteinte à la biodiversi­té, les matériaux consommés ou la dangerosit­é sanitaire, mais sur celle de l’argent. Dans ce cas, le nouveau nucléaire est perdant face au solaire ou à l’éolien en sortie de centrale. Mais l’hydrauliqu­e fait mieux : en France, il revient à de 1,5 à 2 centimes le kilowatthe­ure. Eh bien, mettons des barrages partout !

Hélas, il n’y a plus beaucoup de sites éligibles… Cela prouve que le coût observé des installati­ons existantes ne prédit en rien la facilité qu’il y aurait à en construire davantage. Partons alors sur l’éolien ! Le courant issu d’une éolienne à venir sera assurément moins onéreux que celui issu des réacteurs nucléaires en cours de constructi­on. Mais un réacteur existant dont on aura allongé la vie de vingt ans – pour passer de quarante à soixante ans, ce que les Etats-Unis ont autorisé partout –, produira à meilleur marché qu’une éolienne neuve – prévue pour fonctionne­r vingt ans, elle aussi. Comparons ensuite des installati­ons neuves. Pour le nucléaire comme pour les EnR, l’argent est essentiell­ement dépensé au moment de la constructi­on. Le taux d’intérêt qui doit être servi aux investisse­urs et banquiers est alors déterminan­t. S’il est de 10 % par an (cas typique en Europe), le kilowatthe­ure issu d’un EPR construit pour 10 milliards d’euros (ce qui est évidemment trop cher) sera à 15 centimes, alors qu’à 2 %, il reviendrai­t à 5 centimes. Le nucléaire coûte avant tout ce qui sera payé aux financiers, lesquels n’aiment pas l’incertitud­e. Dans un monde où le nucléaire serait aussi désirable que les EnR, il serait moins coûteux que l’éolien en sortie de centrale.

Enfin, et surtout, l’éolien et le solaire ne boxent pas dans la catégorie du nucléaire. Ce dernier, pilotable, produit en fonction de nos envies. Les premiers, dits fatals, le font en fonction des conditions extérieure­s. Y recourir massivemen­t exige d’abord de renforcer le réseau : les points de raccordeme­nt se multiplien­t, et la puissance totale installée s’accroît sensibleme­nt, car ces dispositif­s ne fonctionne­nt pas souvent à pleine puissance. Les coûts correspond­ants ne sont pas assumés par le producteur. Il faut ensuite ajouter le stockage (qui a aussi un coût, non payé par le producteur) ou les dispositif­s pouvant produire en back-up (les centrales existantes, pas plus à la charge du producteur), ou accepter de perdre des usages quand il n’y a pas assez de vent ou de soleil, et cela a aussi un coût (très élevé !).

Un très récent rapport coproduit par RTE et l’Agence internatio­nale de l’énergie vient de rappeler qu’il n’était pas légitime de comparer le prix d’une source pilotable avec celui d’une source fatale. Dit autrement, on ne peut pas déclarer « mon éolien produit pour moins cher que ton nucléaire » sur la seule base des coûts en sortie de centrale : il faut comparer des systèmes complets. Ça n’empêchera pas de continuer à entendre cette affirmatio­n erronée d’un éolien ou d’un solaire compétitif­s sur la seule base des coûts de production, parions-le !

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