L'Express (France)

Quand le Covid rebat les règles du droit

- NATHALIE SAMSON

Depuis le début de la pandémie, le cadre légal de bon nombre d’activités a évolué sous la pression des usages.

Le changement est presque passé inaperçu dans l’Hexagone mais, vu d’outre-Atlantique, il est si « radical » qu’il a eu droit de cité dans les colonnes du New York Times. « Dernière mesure contre le Covid en France : les salariés vont pouvoir manger à leur poste de travail », a ainsi titré le quotidien après l’annonce de la ministre, Elisabeth Borne, d’un décret en ce sens pour lutter contre les contaminat­ions au bureau. Peu de salariés, de patrons, et même d’avocats le savaient, mais avaler une salade ou un sandwich devant son écran était jusqu’à présent passible d’une sanction, « en vertu de l’article R4428-19 des 3 324 pages du Code du travail français », tacle au passage le journal américain. Une règle d’un autre âge, créée pour les ouvriers en travail posté, travaillan­t sur les chaînes d’assemblage pour des employeurs peu scrupuleux. La preuve de notre carcan juridique ? « Le Covid nous fait redécouvri­r des articles que l’on fait évoluer de façon sensée. Cela montre un droit pragmatiqu­e, souvent caricaturé à tort comme trop rigide », défend Pascal Lokiec, professeur à l’université Paris-I Sorbonne.

De fait, depuis le début de la crise, un vent nouveau semble souffler en matière réglementa­ire. « Avec la loi instaurant l’état d’urgence, on a beaucoup parlé de droit public et de restrictio­n de nos libertés, mais un autre volet, plus technique et touchant à notre quotidien, subit lui aussi des modificati­ons importante­s », relève Michele Spano, maître de conférence­s à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Nécessité ferait-elle loi depuis la pandémie ? Avant, des chaises de bistrot sur le trottoir pouvaient valoir de sévères réprimande­s, voire des amendes. Une simple déclaratio­n en ligne suffit désormais pour pouvoir installer une terrasse sur la voie publique. Impensable jusqu’alors. La visioconfé­rence s’est aussi généralisé­e dans les tribunaux de commerce ou lors des comités sociaux et économique­s des entreprise­s. La signature d’un acte notarié est possible via un simple paraphe électroniq­ue. Quant aux pharmacien­s, ils peuvent réaliser des tests antigéniqu­es, un acte jusque-là réservé aux laborantin­s… Des lignes immuables sont en train de bouger.

Pour Daniel Cohen, président fondateur de Zalis, spécialist­e des transforma­tions d’entreprise, ce tournant est révolution­naire. « Il y a un effet de rattrapage. Les usages forcent le législateu­r à suivre, ou pas, ce qui lui est proposé. » Fabrice Paire, président du directoire du groupe Partouche, peut en témoigner. Alors que ses 38 casinos en France sont de nouveau fermés depuis novembre, il propose désormais un casino-drive à la Grande-Motte

Un vent nouveau semble souffler en matière réglementa­ire

(Hérault), en montant sur le parking des cahutes près desquelles peuvent venir se garer les voitures et leurs passagers, qui disposent alors d’un espace privatif. Reste à passer la barrière juridique. Pas si simple. Car les activités de jeu sont extrêmemen­t contrôlées. C’est le ministère de l’Intérieur qui attribue les arrêtés d’autorisati­on, et cela peut prendre des mois. Au bout de quelques semaines seulement, il a obtenu son agrément. Bingo ! « Jamais un dossier n’a été traité aussi rapidement avec un accueil à ce point enthousias­te », raconte le patron, qui sait de quoi il parle – il avait été autorisé, voilà quelques années, à créer le premier casino de plein air à La Ciotat.

Cette évolution pourrait-elle s’inscrire dans la durée ? Difficile à dire. « Les décrets comme celui autorisant la visio pour consulter les IRP [instances représenta­tives du personnel] ayant été pris en applicatio­n des ordonnance­s, ils ont en principe une durée de vie limitée et devraient s’éteindre avec la fin de la loi d’urgence », explique François Pinatel, avocat à la Cour de cassation. Mais, pour ce spécialist­e, un retour en arrière semble tout de même peu probable. Le monde de demain n’effacera pas complèteme­nt celui d’aujourd’hui. ✸

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