Etats-Unis A l’intérieur du Parti républicain, la chasse aux « traîtres »
Les partisans de Donald Trump attaquent avec virulence ceux qui ont essayé de prendre leurs distances avec lui.
Pour la première fois depuis son départ de la Maison-Blanche voilà presque un mois et demi, il a parlé. Et ses militants, réunis à Orlando (Floride) pour le Conservative Political Action Conference, ou CPAC, le congrès annuel des conservateurs américains, ont bu ses paroles. Venu en voisin ce dimanche – sa résidence principale, le domaine de Mara-Lago, se trouve en Floride –, Trump a fait du Trump. Il a laissé entendre qu’il n’excluait pas de se représenter en 2024. Expliqué qu’il était hors de question de créer un parti politique dissident, attaqué les Républicains qui l’ont lâché. Et ainsi fait comprendre que le patron du Parti , jusqu’à nouvel ordre, c’était lui !
Chez les conservateurs, c’est l’heure des comptes. Et des règlements de comptes. Une sorte de chasse aux sorcières. La base en veut à ceux qui ne suivent pas le chef, tel ce rénégat de Ben Sasse. Ce sénateur du Nebraska, tout juste réélu, a commis l’irréparable : il a soutenu l’impeachment (mise en accusation) de Donald Trump pour « incitation à l’insurrection ». A Scotts Bluff, dans le même Etat, la responsable locale du Grand Old Party (GOP), Kolene Woodward, a organisé une pétition pour censurer symboliquement l’édile, qu’elle accuse de « fustiger le président Trump ». « Le fait qu’il ne nous représente pas vraiment est un sacré problème », déplore cette cadre conservatrice. Selon elle, son parti avait « trouvé une voix » pour porter ses idées, celle du milliardaire républicain.
Des confins du Midwest à la Floride en passant par les Appalaches, d’autres voix s’élèvent au sein du Parti républicain pour punir les « traîtres », exiger leur expulsion et rendre au GOP sa vigueur idéologique après plusieurs défaites électorales. Sur la sellette également : les sénateurs Jeff Flake (Arizona), Pat Toomey (Pennsylvanie), Richard Burr (Caroline du Nord), la représentante Liz Cheney (Wyoming), et d’autres encore. Au premier rang desquels… Mike Pence! L’ancien viceprésident, qui a pourtant avalé bien des couleuvres pendant quatre ans, rase les murs après qu’un tweet présidentiel, le 6 janvier, a failli provoquer son lynchage lors de l’assaut du Capitole. Donald Trump avait alors reproché à son colistier d’avoir « manqué de courage » en reconnaissant la victoire de Joe Biden. Evidemment, il n’était pas invité au CPAC, à Orlando.
Un mois après son départ de la Maison-Blanche, Trump conserve son emprise sur le Parti républicain. Une enquête d’opinion publiée dans Politico conforte son avance en vue de 2024, avec une popularité record de 53 %, loin devant Mike Pence (12 %), l’ex-gouverneure de Caroline du Sud Nikki Haley (6 %), le sénateur texan Ted Cruz (4 %) ou l’ancien ministre des Affaires étrangères Mike Pompeo (2 %).
Sa popularité est presque intacte : 3 républicains sur 4 souhaitent que Trump « continue de jouer un rôle politique ». Au sein du parti, les opportunistes font acte de contrition, à l’instar des élus du Congrès Kevin McCarthy et Lindsey Graham. Après avoir brièvement exprimé leur colère à la suite de l’invasion du
Capitole, ils sont venus faire allégeance dans la résidence principale de l’ex-président, à Mar-a-Lago, en Floride. « C’est le résultat de la prise de pouvoir ourdie par Trump au sein de sa formation, décrypte Whit Ayres, président de l’institut North Star Opinion Research. Redoutant l’émergence d’un rival lors des primaires en 2020, il avait installé ses acolytes aux postes clefs. Ces actes d’intimidation sont le fait de ses supporters ultras, qui s’empressent de sanctionner quiconque a l’audace de mettre en cause leur champion. »
« S’ils continuent de flirter avec les complotistes de QAnon, leurs effectifs fondront »
La partie, cependant, n’est pas terminée. « Les dirigeants locaux du Parti républicain sont globalement plus trumpistes que la plupart des électeurs eux-mêmes, explique Jim Moore, politologue à l’université du Pacifique en Oregon. Les élus ciblés par les ultras trumpistes ne sont pas réellement en danger. Nous serons fixés l’année prochaine, lors des législatives de mi-mandat, en novembre. Toute la question est de savoir si les modérés seront défiés par des adversaires pro-Trump suffisamment solides. »
Le salut du mouvement conservateur, affaibli par les divisions, par le départ de nombreux adhérents plus centristes et par le scepticisme croissant de certains de ses grands donateurs, passera par la présentation d’un front uni face à la politique de Joe Biden. Et notamment vis-à vis de son plan de relance à 1 900 milliards de dollars. « Si l’économie repart, et si la campagne de vaccination fonctionne, la croyance selon laquelle Donald Trump détenait la clef du succès s’effacera, avance Eric Herzik, professeur émérite de science politique à l’université du Nevada, à Reno. Si les républicains continuent de flirter avec les complotistes de QAnon et de s’aliéner l’électorat féminin et les minorités ethniques, leurs effectifs fondront. »
Les conservateurs modérés, représentés par le leader de la minorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell – qui a rompu avec Donald Trump –, pourraient-ils, finalement, supplanter la frange radicale, orpheline de l’ex-locataire de la Maison-Blanche ? Pas certain, selon le stratège Whit Ayres : « Cette faction populiste, anti-élite, anti-intellectuels, antiestablishment, anti-médias, anti-immigrés et anti-Wall Street existait déjà bien avant Trump. Et elle lui survivra. » ✸