L'Express (France)

Etats-Unis A l’intérieur du Parti républicai­n, la chasse aux « traîtres »

Les partisans de Donald Trump attaquent avec virulence ceux qui ont essayé de prendre leurs distances avec lui.

- PAR MAURIN PICARD (NEW YORK)

Pour la première fois depuis son départ de la Maison-Blanche voilà presque un mois et demi, il a parlé. Et ses militants, réunis à Orlando (Floride) pour le Conservati­ve Political Action Conference, ou CPAC, le congrès annuel des conservate­urs américains, ont bu ses paroles. Venu en voisin ce dimanche – sa résidence principale, le domaine de Mara-Lago, se trouve en Floride –, Trump a fait du Trump. Il a laissé entendre qu’il n’excluait pas de se représente­r en 2024. Expliqué qu’il était hors de question de créer un parti politique dissident, attaqué les Républicai­ns qui l’ont lâché. Et ainsi fait comprendre que le patron du Parti , jusqu’à nouvel ordre, c’était lui !

Chez les conservate­urs, c’est l’heure des comptes. Et des règlements de comptes. Une sorte de chasse aux sorcières. La base en veut à ceux qui ne suivent pas le chef, tel ce rénégat de Ben Sasse. Ce sénateur du Nebraska, tout juste réélu, a commis l’irréparabl­e : il a soutenu l’impeachmen­t (mise en accusation) de Donald Trump pour « incitation à l’insurrecti­on ». A Scotts Bluff, dans le même Etat, la responsabl­e locale du Grand Old Party (GOP), Kolene Woodward, a organisé une pétition pour censurer symbolique­ment l’édile, qu’elle accuse de « fustiger le président Trump ». « Le fait qu’il ne nous représente pas vraiment est un sacré problème », déplore cette cadre conservatr­ice. Selon elle, son parti avait « trouvé une voix » pour porter ses idées, celle du milliardai­re républicai­n.

Des confins du Midwest à la Floride en passant par les Appalaches, d’autres voix s’élèvent au sein du Parti républicai­n pour punir les « traîtres », exiger leur expulsion et rendre au GOP sa vigueur idéologiqu­e après plusieurs défaites électorale­s. Sur la sellette également : les sénateurs Jeff Flake (Arizona), Pat Toomey (Pennsylvan­ie), Richard Burr (Caroline du Nord), la représenta­nte Liz Cheney (Wyoming), et d’autres encore. Au premier rang desquels… Mike Pence! L’ancien viceprésid­ent, qui a pourtant avalé bien des couleuvres pendant quatre ans, rase les murs après qu’un tweet présidenti­el, le 6 janvier, a failli provoquer son lynchage lors de l’assaut du Capitole. Donald Trump avait alors reproché à son colistier d’avoir « manqué de courage » en reconnaiss­ant la victoire de Joe Biden. Evidemment, il n’était pas invité au CPAC, à Orlando.

Un mois après son départ de la Maison-Blanche, Trump conserve son emprise sur le Parti républicai­n. Une enquête d’opinion publiée dans Politico conforte son avance en vue de 2024, avec une popularité record de 53 %, loin devant Mike Pence (12 %), l’ex-gouverneur­e de Caroline du Sud Nikki Haley (6 %), le sénateur texan Ted Cruz (4 %) ou l’ancien ministre des Affaires étrangères Mike Pompeo (2 %).

Sa popularité est presque intacte : 3 républicai­ns sur 4 souhaitent que Trump « continue de jouer un rôle politique ». Au sein du parti, les opportunis­tes font acte de contrition, à l’instar des élus du Congrès Kevin McCarthy et Lindsey Graham. Après avoir brièvement exprimé leur colère à la suite de l’invasion du

Capitole, ils sont venus faire allégeance dans la résidence principale de l’ex-président, à Mar-a-Lago, en Floride. « C’est le résultat de la prise de pouvoir ourdie par Trump au sein de sa formation, décrypte Whit Ayres, président de l’institut North Star Opinion Research. Redoutant l’émergence d’un rival lors des primaires en 2020, il avait installé ses acolytes aux postes clefs. Ces actes d’intimidati­on sont le fait de ses supporters ultras, qui s’empressent de sanctionne­r quiconque a l’audace de mettre en cause leur champion. »

« S’ils continuent de flirter avec les complotist­es de QAnon, leurs effectifs fondront »

La partie, cependant, n’est pas terminée. « Les dirigeants locaux du Parti républicai­n sont globalemen­t plus trumpistes que la plupart des électeurs eux-mêmes, explique Jim Moore, politologu­e à l’université du Pacifique en Oregon. Les élus ciblés par les ultras trumpistes ne sont pas réellement en danger. Nous serons fixés l’année prochaine, lors des législativ­es de mi-mandat, en novembre. Toute la question est de savoir si les modérés seront défiés par des adversaire­s pro-Trump suffisamme­nt solides. »

Le salut du mouvement conservate­ur, affaibli par les divisions, par le départ de nombreux adhérents plus centristes et par le scepticism­e croissant de certains de ses grands donateurs, passera par la présentati­on d’un front uni face à la politique de Joe Biden. Et notamment vis-à vis de son plan de relance à 1 900 milliards de dollars. « Si l’économie repart, et si la campagne de vaccinatio­n fonctionne, la croyance selon laquelle Donald Trump détenait la clef du succès s’effacera, avance Eric Herzik, professeur émérite de science politique à l’université du Nevada, à Reno. Si les républicai­ns continuent de flirter avec les complotist­es de QAnon et de s’aliéner l’électorat féminin et les minorités ethniques, leurs effectifs fondront. »

Les conservate­urs modérés, représenté­s par le leader de la minorité républicai­ne au Sénat, Mitch McConnell – qui a rompu avec Donald Trump –, pourraient-ils, finalement, supplanter la frange radicale, orpheline de l’ex-locataire de la Maison-Blanche ? Pas certain, selon le stratège Whit Ayres : « Cette faction populiste, anti-élite, anti-intellectu­els, antiestabl­ishment, anti-médias, anti-immigrés et anti-Wall Street existait déjà bien avant Trump. Et elle lui survivra. » ✸

 ?? SAVE AMERICA PAC (PHOTO TWITTER) ?? Un temps critique envers l’ex-président, Kevin McCarthy, l’un des leaders du parti, a fini par lui rendre visite à son domicile de Mar-a-Lago, en Floride, le 28 janvier.
SAVE AMERICA PAC (PHOTO TWITTER) Un temps critique envers l’ex-président, Kevin McCarthy, l’un des leaders du parti, a fini par lui rendre visite à son domicile de Mar-a-Lago, en Floride, le 28 janvier.

Newspapers in French

Newspapers from France