L'Express (France)

Corée du Nord L’autre casse-tête nucléaire de Joe Biden

Les négociatio­ns avec Kim Jong-un, qui veut se renforcer, s’annoncent ardues. Après l’échec de la méthode Trump, Washington cherche sa voix.

- PAR PHILIPPE MESMER (TOKYO)

Qu’il paraît loin, le temps où Donald Trump déclarait que son homologue nord-coréen et lui étaient « tombés amoureux », et vantait les « lettres magnifique­s » du jeune dictateur nord-coréen. C’était en 2018, année du premier sommet historique entre les deux dirigeants, à Singapour, lorsqu’ils avaient opéré un spectacula­ire rapprochem­ent sur fond de vague promesse de dénucléari­sation de la péninsule coréenne.

Depuis le sommet Trump-Kim de Hanoï, en février 2019, les discussion­s sont dans l’impasse. Constatant l’échec de la stratégie du « deal » – dénucléari­sation totale contre levée des sanctions – de son prédécesse­ur, Joe Biden est face à un casse-tête, alors que la menace nucléaire nordcoréen­ne n’a pas disparu, loin de là. Toute la stratégie envers la Corée du Nord « va être réexaminée », a promis Antony Blinken, le nouveau chef de la diplomatie américaine.

Pour l’heure, à Washington, la plus extrême méfiance règne. Le général John Hyten – n° 2 de l’armée américaine – a ainsi précisé, le 23 février, que le programme de défense antimissil­e de son pays « se concentrai­t clairement » sur la Corée du Nord, plutôt que sur « la Chine, la Russie et l’Iran ». Et ce, car elle « continue de développer ses capacités, ce qui signifie que, du côté défensif, nous devons continuer à progresser également », a poursuivi le haut gradé, pour qui il existe une possibilit­é réelle que Pyongyang tire un jour un missile vers les Etats-Unis. De fait, Kim Jong-un a proclamé en janvier que Washington était le « plus grand ennemi » de son pays et réaffirmé son intention de « renforcer » un arsenal nucléaire déjà grandement modernisé ces dernières années. Le « commandant suprême » a notamment promis un sous-marin nucléaire lanceur d’engins d’ici à cinq ans. En octobre dernier, il avait organisé une parade géante à Pyongyang, dont la vedette, allongée sur un tracteur à 22 roues, était un immense missile balistique interconti­nental – le plus gros engin mobile à carburant liquide de ce type jamais vu, selon certains experts.

Alors que l’agence de presse nord-coréenne d’Etat KCNA avait traité en novembre 2019 Biden de « chien enragé » qu’il faudrait « battre à mort », les tensions ne devraient pas s’apaiser en ce mois de mars, avec la reprise de manoeuvres communes entre les armées sud-coréenne et américaine sur la péninsule. Ces exercices annuels avaient été suspendus par Trump pour complaire à Kim, qui les assimile à la préparatio­n d’une invasion de son pays. Même en format réduit à cause de l’épidémie de Covid-19, ils devraient ulcérer Pyongyang. Pour autant, la « riposte » aux manoeuvres pourrait se limiter à des éditoriaux enflammés, ou, au pire, à des essais de missiles à moyenne portée. La Corée du Nord ne devrait pas aller trop loin, estime Cheong Seong-chang, de l’Institut sud-coréen Sejong, en raison de la situation « particuliè­rement difficile » de son économie, fragilisée par l’épidémie et les sanctions internatio­nales.

De quoi l’amener à négocier ? « Kim a laissé la porte ouverte au dialogue, mais ses conditions sont très exigeantes », nuance Duyeon Kim, chercheuse du Programme pour la sécurité en Asie-Pacifique du Centre pour une nouvelle sécurité américaine. Il demande la fin de toutes les opérations militaires américano-sud-coréennes, la levée des sanctions et l’arrêt des critiques sur les atteintes aux droits humains.

Côté Biden, pas question de rencontrer Kim s’il ne s’engage pas à « réduire ses capacités nucléaires ». Pour essayer de faire avancer ce dossier ultra complexe, dans lequel se sont englués Barack Obama et Donald Trump, le président américain dispose de spécialist­es expériment­és. Anthony Blinken a joué un rôle majeur dans la négociatio­n de l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien qu’il considérai­t en 2018 comme le « meilleur modèle pour un accord nucléaire avec la Corée du Nord ». Sung Kim, chargé de l’Asie de l’Est au départemen­t d’Etat, fut, pour sa part, le représenta­nt des Etats-Unis pour la Corée du Nord de 2014 à 2016 et envoyé spécial lors des pourparler­s à six (les deux Corées, les Etats-Unis, la Chine, le Japon et la Russie) sur le nucléaire nord-coréen.

La nouvelle administra­tion semble privilégie­r une approche graduelle du problème et, note Jong Kyo-jin, de l’institut d’études de l’unificatio­n à l’université de Corée, « envisager de l’aborder de manière multilatér­ale ». Biden a déjà évoqué la question avec les responsabl­es sudcoréens et japonais, ses alliés dans la région. Il restera à contourner cet éternel problème : pourquoi le dirigeant nordcoréen renoncerai­t-il à un arsenal construit depuis des décennies et indispensa­ble à sa survie politique ? ✸

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STR/KCNA VIA KNS/AFP Le dictateur a désigné en janvier les EtatsUnis comme son « plus grand ennemi ».

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