L'Express (France)

Madagascar Trafics en tous genres sur la Grande Ile

En pleine crise économique et sociale, la corruption et le pillage des ressources naturelles alimentent la colère des habitants.

- PAR SÉBASTIEN HERVIEU (ABIDJAN)

Al’aéroportde­Johannesbu­rg, le 31 décembre 2020, les douaniers mettent la main sur 73,5 kilos d’or dissimulés dans les valises de trois voyageurs malgaches. Valeur de la saisie : 3,5 millions d’euros. L’avion de tourisme en provenance de Toleara, une ville côtière de la Grande Ile, s’était posé pour une escale technique avant de poursuivre sa route jusqu’à Dubaï. La découverte fait grand bruit à Madagascar. Les autorités minières, policières et douanières locales sont accusées d’avoir laissé faire. Des officiels sont soupçonnés de complicité. « Ce type de trafic est monnaie courante, mais les malfaiteur­s se font rarement prendre la main dans le sac », souligne Ketakandri­ana Rafitoson, directrice de la branche malgache de Transparen­cy Internatio­nal. Dans le dernier classement sur la corruption établi par cette ONG, ce pays de l’océan Indien, très mal noté, occupe le 149e rang sur 180.

L’or est loin d’être la seule source de commerce illégal à Madagascar. Les trafiquant­s puisent dans un sous-sol riche en pierres précieuses, comme le saphir. Ainsi que dans une nature à la biodiversi­té exceptionn­elle et menacée, du bois de rose aux lémuriens. Le 13 février, c’est une cargaison de 810 tortues radiata, à la carapace recouverte de motifs d’étoile, qui a été intercepté­e par les gendarmes dans le sud du pays. Ces affaires contribuen­t à alimenter la colère contre les autorités. D’autant que le pays, l’un des plus pauvres du monde, est confronté à une crise économique et sociale liée à la pandémie de Covid-19 et aggravée par une longue période de sécheresse dans le sud : plus d’un tiers de la population de cette région, soit 1,35 million de personnes, sont menacées par la faim, selon le Programme alimentair­e mondial.

Par endroits, la situation est explosive : le 18 février, des étudiants ont défilé à Toamasina, sur la côte Est, pour réclamer le paiement de leurs bourses universita­ires, qu’ils attendent depuis près de quatre mois. Un participan­t a été tué par balles lors de la manifestat­ion.

« La société malgache est très inégalitai­re, explique Juvence Ramasy, maître de conférence­s en sciences politiques et droit constituti­onnel à l’université de Toamasina. La captation de la richesse par une élite crée beaucoup de frustratio­n chez les plus déshérités. » Un sentiment que la mauvaise gestion gouverneme­ntale de la pandémie a accentué.

Dans un rapport publié fin janvier, Transparen­cy Internatio­nal notait que plus d’un quart des ménages interrogés avaient rapporté des faits de corruption lors de la distributi­on des aides sociales liées au Covid-19. « Sur le papier, Madagascar dispose de tout un arsenal juridique pour lutter contre la mauvaise utilisatio­n des fonds publics, indique Ketakandri­ana Rafitoson. Mais ce sont des coquilles vides, car la volonté politique manque. »

A son retour au pouvoir, en 2019, le président Andry Rajoelina avait pourtant assuré qu’il ferait du combat contre la corruption un objectif prioritair­e. Un pôle judiciaire spécialisé existe déjà depuis juin 2018. Des élus et d’anciens ministres – souvent membres de l’opposition – sont régulièrem­ent arrêtés. Un écran de fumée. « Historique­ment, Madagascar a toujours été sous la coupe d’une oligarchie, rappelle l’historien Jean Fremigacci, auteur d’Etat, économie et société coloniale à Madagascar (Karthala). Les grandes familles sont les mêmes et se repassent le pouvoir à tour de rôle. » Les intérêts particulie­rs prennent le pas sur l’intérêt général. L’Etat est faible, miné par le règne de l’impunité.

Début février, un député malgache condamné à cinq ans de prison ferme a été libéré… au bout de neuf mois. La justice l’avait pourtant déclaré coupable de la destructio­n de 85 000 hectares de forêt primaire au profit de cultures destinées à des groupes agroalimen­taires étrangers. Au sein de la société civile, des voix se sont élevées pour que les trafiquant­s d’or arrêtés à Johannesbu­rg soient jugés en Afrique du Sud et non à Madagascar. La crainte des militants ? Que les contreband­iers soient vite relâchés une fois au pays.

La corruption gangrène la plupart des secteurs de la société. Du magistrat ou policier qui ferme les yeux sur un délit en échange de quelques billets, au professeur qui monnaie l’obtention d’un diplôme. Une évolution qui inquiète Ketakandri­ana Rafitoson. « La corruption motivée par la volonté de survivre finit par devenir un réflexe, puis la norme, estime l’activiste. Aujourd’hui, la jeune génération regarde l’élite et se dit que la seule façon de s’en sortir, c’est de faire comme elle. » ✸

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J.-Y. GROSPAS/BIOS PHOTO/AFP Menacés d’extinction, les lémuriens sont la cible des trafiquant­s.
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