L'Express (France)

Un exécutif trop puissant, par Chloé Morin

Le recours au vote anticipé et l’introducti­on d’une dose de proportion­nelle font débat. Ces pistes sont-elles les bonnes ?

- Chloé Morin Chloé Morin, politologu­e associée à la Fondation Jean-Jaurès, spécialist­e de l’opinion publique, est l’auteur du Populisme au secours de la démocratie ? (Gallimard, 2021).

La question démocratiq­ue a fait son retour dans le débat médiatique ces dernières semaines, notamment à travers deux propositio­ns : l’une consistant à autoriser le vote anticipé (la possibilit­é pour les électeurs de voter avant le jour du scrutin) ; la seconde, poussée notamment par François Bayrou, à introduire « une dose de proportion­nelle » lors des élections législativ­es. Dans le premier cas, il s’agirait de combattre l’abstention et, dans l’autre, le sentiment de « mal représenta­tion », en faisant en sorte que les députés reflètent mieux les rapports de forces réels.

Il faut toujours se féliciter de ce que certains tentent d’apporter des réponses à un problème dont nous nous accommodon­s depuis trop longtemps.

Tant que l’abstention et le désengagem­ent politique n’empêchaien­t ni l’élection ni l’exercice du pouvoir, les tenants de la VIe République et les pourfendeu­rs du présidenti­alisme passaient pour de doux rêveurs. Mais, dès lors que le « vote populiste » est en passe de devenir majoritair­e et que la colère échappe aux corps intermédia­ires, c’est tout l’édifice qui se voit menacé. Il est urgent d’agir.

Prise de conscience salutaire, donc. Toutefois, au vu de l’ancienneté du problème, il est très étonnant que les solutions proposées ne soient pas plus réfléchies. Evacuons rapidement le vote anticipé : on comprend mal en quoi cette mesure améliorera­it la participat­ion. Dans les pays où elle est possible, l’abstention n’en est pas moins grande. Quant à la proportion­nelle, de quoi parle-t-on au juste ? Il est évident qu’une « dose » de celle-ci, répartie sur une dizaine de départemen­ts ou plus, ne modifierai­t que très à la marge les (dés)équilibres parlementa­ires actuels. L’hyperpuiss­ance de la majorité présidenti­elle s’en verrait à peine entamée. On ne voit pas les opposition­s se contenter de ces miettes démocratiq­ues qui leur seraient jetées par le monarque républicai­n.

Une liberté cadenassée

La proportion­nelle « intégrale » bouleverse­rait en profondeur la logique de nos institutio­ns. Pour beaucoup, elle fait planer le risque d’une instabilit­é permanente et nuirait à l’efficacité de l’action publique. Cette opposition traduit en partie l’idéologie de notre époque, qui veut que le dialogue soit toujours du temps perdu, et que la vitesse soit forcément gage d’efficacité. Elle marque également la conviction que nous serions condamnées à l’immaturité politique, incapables d’acquérir la culture parlementa­ire que nombre de nos voisins, qui ne se prétendent pourtant pas « pays des droits de l’homme » et « phares de l’humanité », ont acquise depuis fort longtemps.

Si l’on dépassait cet éternel débat entre ceux qui idéalisent le « peuple » et ceux qui s’en méfient trop, le problème serait-il pour autant résolu ? Les Français se sentiraien­t-ils davantage entendus, auraient-ils le sentiment d’un pouvoir mieux partagé ? Rien n’est moins sûr. Car – et c’est bien le plus étonnant dans un débat qui dure depuis si longtemps – les partisans des réformes institutio­nnelles ne vont pas au bout de leur réflexion.

La proportion­nelle ne pourrait, en effet, fonctionne­r à plein qu’avec un Parlement fort. C’est la toute-puissance et l’omniprésen­ce de l’exécutif qu’il faut interroger, à travers trois éléments essentiels. D’abord, le Parlement devrait sans doute avoir la pleine maîtrise de son calendrier. Ensuite, la liberté des débats : de multiples mécanismes existent aujourd’hui pour contraindr­e non seulement la parole mais aussi le vote des députés. Le droit de dissolutio­n est le plus connu, avec l’article 49.3. Mais on doit y ajouter les articles 40 et 45 de la Constituti­on : le premier interdit au Parlement d’augmenter les charges de l’Etat. Or comment déterminer une politique sans en avoir les moyens financiers ? Le deuxième permet de chasser les « cavaliers législatif­s » – c’est-à-dire que le gouverneme­nt peut limiter le champ de la discussion aux seuls sujets de son choix.

A ces contrainte­s qui cadenassen­t la liberté parlementa­ire, s’ajoutent des mécanismes tels que le temps programmé, ou la seconde délibérati­on, qui permettent de limiter le temps de parole d’une part – si bien que, une fois la parole de l’opposition épuisée, le débat se déroule sans contradict­ion… – et, d’autre part, de faire revenir la majorité sur un vote qu’elle aurait pu perdre à un moment du débat. Un nombre croissant de nos concitoyen­s jugent que l’exécutif, et en particulie­r la figure présidenti­elle, concentre trop de pouvoirs. L’année écoulée, où le Parlement n’a eu qu’un rôle mineur lorsqu’il s’est agi de prendre des décisions radicales, en a fait la démonstrat­ion. Commençons donc par nous demander comment le renforcer. Reste que ces débats n’attaquent pas le coeur du malaise démocratiq­ue : le sentiment que les politiques ne portent plus de visions, de projets de société susceptibl­es de « changer la vie ». Mais changer la vie est hélas bien plus complexe que changer de mode de scrutin… ✸

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