Un exécutif trop puissant, par Chloé Morin
Le recours au vote anticipé et l’introduction d’une dose de proportionnelle font débat. Ces pistes sont-elles les bonnes ?
La question démocratique a fait son retour dans le débat médiatique ces dernières semaines, notamment à travers deux propositions : l’une consistant à autoriser le vote anticipé (la possibilité pour les électeurs de voter avant le jour du scrutin) ; la seconde, poussée notamment par François Bayrou, à introduire « une dose de proportionnelle » lors des élections législatives. Dans le premier cas, il s’agirait de combattre l’abstention et, dans l’autre, le sentiment de « mal représentation », en faisant en sorte que les députés reflètent mieux les rapports de forces réels.
Il faut toujours se féliciter de ce que certains tentent d’apporter des réponses à un problème dont nous nous accommodons depuis trop longtemps.
Tant que l’abstention et le désengagement politique n’empêchaient ni l’élection ni l’exercice du pouvoir, les tenants de la VIe République et les pourfendeurs du présidentialisme passaient pour de doux rêveurs. Mais, dès lors que le « vote populiste » est en passe de devenir majoritaire et que la colère échappe aux corps intermédiaires, c’est tout l’édifice qui se voit menacé. Il est urgent d’agir.
Prise de conscience salutaire, donc. Toutefois, au vu de l’ancienneté du problème, il est très étonnant que les solutions proposées ne soient pas plus réfléchies. Evacuons rapidement le vote anticipé : on comprend mal en quoi cette mesure améliorerait la participation. Dans les pays où elle est possible, l’abstention n’en est pas moins grande. Quant à la proportionnelle, de quoi parle-t-on au juste ? Il est évident qu’une « dose » de celle-ci, répartie sur une dizaine de départements ou plus, ne modifierait que très à la marge les (dés)équilibres parlementaires actuels. L’hyperpuissance de la majorité présidentielle s’en verrait à peine entamée. On ne voit pas les oppositions se contenter de ces miettes démocratiques qui leur seraient jetées par le monarque républicain.
Une liberté cadenassée
La proportionnelle « intégrale » bouleverserait en profondeur la logique de nos institutions. Pour beaucoup, elle fait planer le risque d’une instabilité permanente et nuirait à l’efficacité de l’action publique. Cette opposition traduit en partie l’idéologie de notre époque, qui veut que le dialogue soit toujours du temps perdu, et que la vitesse soit forcément gage d’efficacité. Elle marque également la conviction que nous serions condamnées à l’immaturité politique, incapables d’acquérir la culture parlementaire que nombre de nos voisins, qui ne se prétendent pourtant pas « pays des droits de l’homme » et « phares de l’humanité », ont acquise depuis fort longtemps.
Si l’on dépassait cet éternel débat entre ceux qui idéalisent le « peuple » et ceux qui s’en méfient trop, le problème serait-il pour autant résolu ? Les Français se sentiraient-ils davantage entendus, auraient-ils le sentiment d’un pouvoir mieux partagé ? Rien n’est moins sûr. Car – et c’est bien le plus étonnant dans un débat qui dure depuis si longtemps – les partisans des réformes institutionnelles ne vont pas au bout de leur réflexion.
La proportionnelle ne pourrait, en effet, fonctionner à plein qu’avec un Parlement fort. C’est la toute-puissance et l’omniprésence de l’exécutif qu’il faut interroger, à travers trois éléments essentiels. D’abord, le Parlement devrait sans doute avoir la pleine maîtrise de son calendrier. Ensuite, la liberté des débats : de multiples mécanismes existent aujourd’hui pour contraindre non seulement la parole mais aussi le vote des députés. Le droit de dissolution est le plus connu, avec l’article 49.3. Mais on doit y ajouter les articles 40 et 45 de la Constitution : le premier interdit au Parlement d’augmenter les charges de l’Etat. Or comment déterminer une politique sans en avoir les moyens financiers ? Le deuxième permet de chasser les « cavaliers législatifs » – c’est-à-dire que le gouvernement peut limiter le champ de la discussion aux seuls sujets de son choix.
A ces contraintes qui cadenassent la liberté parlementaire, s’ajoutent des mécanismes tels que le temps programmé, ou la seconde délibération, qui permettent de limiter le temps de parole d’une part – si bien que, une fois la parole de l’opposition épuisée, le débat se déroule sans contradiction… – et, d’autre part, de faire revenir la majorité sur un vote qu’elle aurait pu perdre à un moment du débat. Un nombre croissant de nos concitoyens jugent que l’exécutif, et en particulier la figure présidentielle, concentre trop de pouvoirs. L’année écoulée, où le Parlement n’a eu qu’un rôle mineur lorsqu’il s’est agi de prendre des décisions radicales, en a fait la démonstration. Commençons donc par nous demander comment le renforcer. Reste que ces débats n’attaquent pas le coeur du malaise démocratique : le sentiment que les politiques ne portent plus de visions, de projets de société susceptibles de « changer la vie ». Mais changer la vie est hélas bien plus complexe que changer de mode de scrutin… ✸