Couvreurs et ornemanistes sous le ciel de Paris
Au fil des générations, ces artisans ont contribué à l’identité visuelle de la capitale. Leurs savoir-faire, toujours vivants bien que méconnus, représenteront-ils la France au Patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, en 2021-2022 ? Verdict fin mars.
En 1877, déjà, la plume naturaliste d’Emile Zola célébrait l’ingéniosité des couvreurs parisiens à travers Coupeau, personnage de L’Assommoir : « Un beau soleil de mai se couchait, dorant les cheminées. Et tout là-haut, dans le ciel clair, l’ouvrier taillait tranquillement son zinc à coups de cisailles, penché sur l’établi, pareil à un tailleur coupant chez lui une paire de culottes. »
Le métal, mis à la mode à l’orée du xixe siècle par la grisante Fanny Mosselman, l’héritière des mines de zinc de la Vieille-Montagne, en Belgique, et son amant, le duc de Morny (demi-frère adultérin du futur Napoléon III), recouvre plus de 70 % des toitures parisiennes. Il est au coeur de la candidature portée par le syndicat des entreprises franciliennes de Génie climatique couverture-plomberie (GCCP). Objectif : que l’Unesco classe, sur la liste du patrimoine culturel immatériel, les savoir-faire des couvreurs zingueurs parisiens – terme générique qui regroupe la pose du zinc, du cuivre ou du plomb recourant à la même technicité. S’y ajoutent les ornemanistes, qui façonnent de véritables joyaux sur les cimes de la capitale, après les avoir conçus en 3D dans des bureaux d’études. Ce sont eux qui vont refaire à l’identique, pour Notre-Dame, la flèche de Viollet-le-Duc détruite lors de l’incendie d’avril 2019.
Auteur d’un ouvrage de référence, Les Toits de Paris ou l’Art des couvreurs (La Martinière, 2011), Gilles Mermet a contribué à la reconnaissance de ces métiers d’art méconnus qui se transmettent de génération en génération. L’auteur, reporterphotographe et documentariste, en est l’ambassadeur. Nous le rencontrons, un après-midi de février, sur les toits de l’église Saint-Vincent-de-Paul, dans le Xe arrondissement, casque de chantier et masque chirurgical de rigueur. Ici, la toiture de l’édifice vient de bénéficier d’une couverture à tasseaux de feuilles de cuivre. Le matériau a encore une teinte orangée qui, à terme et au gré des intempéries, virera au vert, comme plusieurs sommets parisiens emblématiques, à commencer par celui de l’Opéra Garnier sur lequel on a une vue imprenable depuis ces hauteurs vertigineuses. C’est ce que nous explique Samuel Laval, le chef de chantier originaire de SaintEtienne, compagnon du Tour de France, qui chapeaute ce jour-là six jeunes couvreurs.
Parmi eux, Hugo Baudrillard, 22 ans, ouvrier, et Pierre Saugnac, 20 ans, apprenti, tous deux issus du prestigieux compagnonnage. Pourquoi ces garçons ont-ils rejoint cette filière, qui déplore aujourd’hui, hélas, une pénurie de main-d’oeuvre spécialisée ? Pour Hugo, qui rêvait d’un destin « où [s]e servir de [s]a tête et de [s]es mains », ce fut « le plaisir d’idéaliser la pièce, de transformer une feuille de zinc en volume ». Quant à Pierre, qui, au départ, se voyait charpentier, il souligne « le savoir-faire resté hautement artisanal de la couverture et de l’ornementation des toits, alors que la charpenterie s’industrialise ». Embauchés par le groupe Balas (leader de la couverture des toitures d’Ile-de-France, de l’Elysée au château de Versailles), ils mesurent leur chance de se confronter au quotidien à des monuments historiques.
C’est tout l’enjeu de la candidature du GCCP. Magnifier ces pratiques de pointe, mais, surtout, susciter des vocations. « ll y a urgence », plaide Gilles Mermet, qui estime que « Paris manque chaque jour de 500 couvreurs qualifiés sur les chantiers de la capitale ». Cette année, les couvreurs et ornemanistes parisiens, retenus sur la shortlist de l’Unesco et déjà candidats (malheureux) voilà trois ans, y sont en concurrence avec le Biou d’Arbois et... la baguette de pain, qui se présente pour la première fois. Qui l’emportera, de la sacro-sainte « tradition » ou de la fragile corporation juchée sur les toits parisiens ? La réponse est entre les mains de Roselyne Bachelot, ministre de la Culture. Elle rendra son verdict à la fin du mois de mars. ✸