L'Express (France)

Derrière le hamburger végétal, un véritable savoir-faire

Texture, couleur, goût... Pour élaborer de séduisants substituts aux produits carnés, les chercheurs rivalisent d’ingéniosit­é.

- PAR SÉBASTIEN JULIAN

Soyons francs, son goût mérite encore d’être amélioré car il est loin d’égaler celui d’une vraie côte de boeuf saisie au barbecue. Mais sa dégustatio­n surprend agréableme­nt et, dans l’assiette, l’illusion créée par le steak végétal se révèle quasi parfaite. « En quelques années, les substituts à la viande ont fait beaucoup de progrès », se réjouit Didier Rémond, directeur de l’unité de nutrition humaine de l’Institut national de recherche pour l’agricultur­e, l’alimentati­on et l’environnem­ent (Inrae), à

Clermont-Ferrand. Rouges à l’intérieur, braisés sur l’extérieur, les plus réussis laissent en bouche une note grillée ainsi que le léger goût ferreux caractéris­tique d’un tournedos ou d’une entrecôte. Ils ne contiennen­t pourtant aucune molécule de viande Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle, d’un point de vue légal, ils ne peuvent être qualifiés comme tels.

Comment les fabricants font-ils pour nous donner l’impression de mordre dans un produit carné ? « Grâce à une succession d’étapes très scientifiq­ues, confie le dirigeant et cofondateu­r des Nouveaux

Fermiers, Guillaume Dubois. Lorsque nous mangeons de la viande, nous passons d’un goût à l’autre : il y a d’abord la note d’attaque, puis la dominante et, enfin, la rémanente, exactement comme pour le vin. Tout l’enjeu consiste à reproduire ces différente­s sensations ». Sa start-up travaille donc avec le concours de maîtres aromaticie­ns qui analysent toutes les odeurs. « Ils regardent quelles molécules sont présentes à la cuisson et à la dégustatio­n. Ensuite, ils essaient de trouver des végétaux fermentés – des champignon­s, par exemple – qui reproduise­nt les mêmes molécules. Bien combinés, ces ingrédient­s permettent de se rapprocher de la signature aromatique de la viande. »

Les scientifiq­ues cherchent également à imiter les textures. « Quand vous prenez une bouchée de steak haché, il vous faut trois ou quatre coups de crocs avant de l’avaler. Le substitut végétal doit donc posséder la même caractéris­tique. Un coup de crocs en moins, et l’aliment semble manquer de consistanc­e. A l’inverse, un de trop donne le sentiment d’avoir de la gomme ou quelque chose de très plastique en bouche », décrit Guillaume Dubois. Pour trouver la masticatio­n idéale, les fabricants se tournent vers la… pomme de terre. « L’agroalimen­taire utilise souvent le blanc d’oeuf comme produit texturant mais, comme nous fabriquons des produits végans, nous ne pouvions pas suivre cette voie », se justifie l’entreprene­ur. C’est donc au féculent, qui contient de l’amidon, de donner plus de consistanc­e. Et pour la couleur, la betterave fait souvent l’affaire. Rouge à l’état cru, elle devient marron en cuisant car elle contient du sucre. De quoi leurrer un peu plus le cerveau. « Le visuel est très important », insiste Guillaume Dubois. Ainsi le hamburger végétal d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celui d’hier. Des dizaines, voire des centaines de nouvelles versions sont passées par là.

Mais que vaut vraiment ce type de produit d’un point de vue nutritionn­el ? « De manière générale, les substituts végétaux apportent des quantités de protéines assez élevées, proches de ce qu’on peut trouver dans un steak haché », précise Didier Rémond. Parmi eux, il y a les protéines de soja, mais aussi des céréales et des légumineus­es, comme le blé et le pois.

Pour atteindre ces hautes teneurs en protéines, les producteur­s fragmenten­t et déstructur­ent l’aliment de départ afin de pouvoir isoler la partie qui les intéresse.

Et certains ajoutent des additifs, qui pourtant essuient de nombreuses critiques. « La thèse dominante, c’est qu’il y a un lien entre la consommati­on de produits ultra-transformé­s et la santé. Pris un par un et dans les doses autorisées, les additifs ne posent pas de problème majeur. Malheureus­ement, on ne maîtrise pas les effets de mélange », résume le chercheur de l’Inrae. Autre problème : l’une des qualités principale­s des produits carnés est l’apport en fer sous forme héminique, c’est-à-dire facilement absorbable par l’organisme. Dans ce domaine, les végétaux ne peuvent pas rivaliser. « Même si les étiquettes affichent parfois des teneurs importante­s, il s’agit souvent de fer difficilem­ent absorbable », prévient Didier Rémond.

En France comme ailleurs, la qualité des substituts végétaux présents sur le marché reste extrêmemen­t variable. Ces aliments n’en demeurent pas moins intéressan­ts pour notre alimentati­on. « Dans un produit transformé à base de végétaux, on peut ajouter tout ce que l’on veut. Par exemple, il est possible de jouer sur le type de matière grasse et de mettre en avant des acides gras non saturés, par opposition aux acides gras saturés présents dans la viande. On peut aussi intégrer des vitamines. Ces plats plus ou moins raffinés apportent aussi pas mal de fibres de manière générale. Ils ont donc leur place dans notre alimentati­on », soutient le chercheur. D’autant qu’il existe désormais un lien avéré entre la consommati­on en produits carnés – la charcuteri­e notamment – et le risque de cancer.

« Les nouvelles génération­s intégreron­t sans doute plus facilement dans leurs menus les substituts à base de végétaux que des viandes fabriquées in vitro, dont l’approche est encore plus industriel­le », souligne encore Didier Rémond. Bien sûr, leur goût reste un peu fade. Mais est-ce si grave, finalement ? « Le steak et son équivalent végétal sont deux produits différents. La loi, qui réserve les termes de “viande”, “saucisses” ou “aiguillett­es” aux produits carnés, a le mérite de clarifier les choses », estime le scientifiq­ue. L’essentiel aujourd’hui est de réduire notre empreinte carbone. Or, à lui seul, l’élevage du bétail serait responsabl­e de 14,5 % de nos émissions de gaz à effet de serre. Plus de végétal et moins d’animal. C’est la clef de notre alimentati­on de demain. ✸

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