Derrière le hamburger végétal, un véritable savoir-faire
Texture, couleur, goût... Pour élaborer de séduisants substituts aux produits carnés, les chercheurs rivalisent d’ingéniosité.
Soyons francs, son goût mérite encore d’être amélioré car il est loin d’égaler celui d’une vraie côte de boeuf saisie au barbecue. Mais sa dégustation surprend agréablement et, dans l’assiette, l’illusion créée par le steak végétal se révèle quasi parfaite. « En quelques années, les substituts à la viande ont fait beaucoup de progrès », se réjouit Didier Rémond, directeur de l’unité de nutrition humaine de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), à
Clermont-Ferrand. Rouges à l’intérieur, braisés sur l’extérieur, les plus réussis laissent en bouche une note grillée ainsi que le léger goût ferreux caractéristique d’un tournedos ou d’une entrecôte. Ils ne contiennent pourtant aucune molécule de viande Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle, d’un point de vue légal, ils ne peuvent être qualifiés comme tels.
Comment les fabricants font-ils pour nous donner l’impression de mordre dans un produit carné ? « Grâce à une succession d’étapes très scientifiques, confie le dirigeant et cofondateur des Nouveaux
Fermiers, Guillaume Dubois. Lorsque nous mangeons de la viande, nous passons d’un goût à l’autre : il y a d’abord la note d’attaque, puis la dominante et, enfin, la rémanente, exactement comme pour le vin. Tout l’enjeu consiste à reproduire ces différentes sensations ». Sa start-up travaille donc avec le concours de maîtres aromaticiens qui analysent toutes les odeurs. « Ils regardent quelles molécules sont présentes à la cuisson et à la dégustation. Ensuite, ils essaient de trouver des végétaux fermentés – des champignons, par exemple – qui reproduisent les mêmes molécules. Bien combinés, ces ingrédients permettent de se rapprocher de la signature aromatique de la viande. »
Les scientifiques cherchent également à imiter les textures. « Quand vous prenez une bouchée de steak haché, il vous faut trois ou quatre coups de crocs avant de l’avaler. Le substitut végétal doit donc posséder la même caractéristique. Un coup de crocs en moins, et l’aliment semble manquer de consistance. A l’inverse, un de trop donne le sentiment d’avoir de la gomme ou quelque chose de très plastique en bouche », décrit Guillaume Dubois. Pour trouver la mastication idéale, les fabricants se tournent vers la… pomme de terre. « L’agroalimentaire utilise souvent le blanc d’oeuf comme produit texturant mais, comme nous fabriquons des produits végans, nous ne pouvions pas suivre cette voie », se justifie l’entrepreneur. C’est donc au féculent, qui contient de l’amidon, de donner plus de consistance. Et pour la couleur, la betterave fait souvent l’affaire. Rouge à l’état cru, elle devient marron en cuisant car elle contient du sucre. De quoi leurrer un peu plus le cerveau. « Le visuel est très important », insiste Guillaume Dubois. Ainsi le hamburger végétal d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celui d’hier. Des dizaines, voire des centaines de nouvelles versions sont passées par là.
Mais que vaut vraiment ce type de produit d’un point de vue nutritionnel ? « De manière générale, les substituts végétaux apportent des quantités de protéines assez élevées, proches de ce qu’on peut trouver dans un steak haché », précise Didier Rémond. Parmi eux, il y a les protéines de soja, mais aussi des céréales et des légumineuses, comme le blé et le pois.
Pour atteindre ces hautes teneurs en protéines, les producteurs fragmentent et déstructurent l’aliment de départ afin de pouvoir isoler la partie qui les intéresse.
Et certains ajoutent des additifs, qui pourtant essuient de nombreuses critiques. « La thèse dominante, c’est qu’il y a un lien entre la consommation de produits ultra-transformés et la santé. Pris un par un et dans les doses autorisées, les additifs ne posent pas de problème majeur. Malheureusement, on ne maîtrise pas les effets de mélange », résume le chercheur de l’Inrae. Autre problème : l’une des qualités principales des produits carnés est l’apport en fer sous forme héminique, c’est-à-dire facilement absorbable par l’organisme. Dans ce domaine, les végétaux ne peuvent pas rivaliser. « Même si les étiquettes affichent parfois des teneurs importantes, il s’agit souvent de fer difficilement absorbable », prévient Didier Rémond.
En France comme ailleurs, la qualité des substituts végétaux présents sur le marché reste extrêmement variable. Ces aliments n’en demeurent pas moins intéressants pour notre alimentation. « Dans un produit transformé à base de végétaux, on peut ajouter tout ce que l’on veut. Par exemple, il est possible de jouer sur le type de matière grasse et de mettre en avant des acides gras non saturés, par opposition aux acides gras saturés présents dans la viande. On peut aussi intégrer des vitamines. Ces plats plus ou moins raffinés apportent aussi pas mal de fibres de manière générale. Ils ont donc leur place dans notre alimentation », soutient le chercheur. D’autant qu’il existe désormais un lien avéré entre la consommation en produits carnés – la charcuterie notamment – et le risque de cancer.
« Les nouvelles générations intégreront sans doute plus facilement dans leurs menus les substituts à base de végétaux que des viandes fabriquées in vitro, dont l’approche est encore plus industrielle », souligne encore Didier Rémond. Bien sûr, leur goût reste un peu fade. Mais est-ce si grave, finalement ? « Le steak et son équivalent végétal sont deux produits différents. La loi, qui réserve les termes de “viande”, “saucisses” ou “aiguillettes” aux produits carnés, a le mérite de clarifier les choses », estime le scientifique. L’essentiel aujourd’hui est de réduire notre empreinte carbone. Or, à lui seul, l’élevage du bétail serait responsable de 14,5 % de nos émissions de gaz à effet de serre. Plus de végétal et moins d’animal. C’est la clef de notre alimentation de demain. ✸