Vaccination : entre refus et adhésion, par Albert Moukheiber
Réfractaires, les Français ? Méfiants, plutôt. Ce qui ne les a pas empêchés d’accepter de se faire vacciner.
Souvenez-vous des débuts hésitants du gouvernement dans sa campagne de vaccination contre le Covid-19. Chaque mot était choisi, chaque décision était prise dans l’objectif de ne pas froisser les esprits, quand, fin 2020, un sondage (Ipsos Global Advisor) nous plaçait parmi les nations les plus réfractaires
– 1 Français sur 4 seulement se déclarait prêt à recevoir une première injection. Un ordre de grandeur qui souffrait de nombreux biais pointés par l’agence Majorelle, puisque cette minorité hostile par principe au vaccin a vu son audience démultipliée sur les réseaux sociaux. L’immense majorité d’entre nous, au tout début de l’arrivée des premières doses, n’était pas rétive, mais plutôt méfiante, car nous émettions des doutes sur leur efficacité ou leurs effets secondaires. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à penser que le poids des antivaccins a considérablement été surestimé, engendrant une distorsion de perception qui a donc pesé sur les décisions politiques.
De l’intention au comportement
Cette situation éclaire deux problématiques importantes, lorsque l’on tente de mesurer les opinions et les comportements des citoyens. La première, c’est de mettre sur le même plan l’expression d’une opinion et le comportement associé. L’intention-action gap est le « trou » qui existe entre une résolution et le fait de la concrétiser en une action ou un comportement. Or nos intentions sont parfois bien loin d’un passage à l’acte. L’exemple le plus connu de la notion intention-action gap, c’est la procrastination. Mais cela s’applique à une large palette de nos intentions et notamment à la vaccination. Selon l’équipe du vaccine confidence project, rattachée à la London School of Hygiene & Tropical Medicine, la France fait partie des pays où l’on retrouve le plus de « défiance » aux vaccins, avec un taux qui atteint les 33 % pour le DTP (diphtérie, tétanos et poliomyélite) ; mais, en revanche, au niveau des comportements, les résultats de vaccinations effectifs sont quasi similaires au reste de l’Europe, avec un taux de 96 % de vaccinés ! Aussi, lors de ces enquêtes, on met dans une même case les personnes qui refusent réellement de se faire vacciner et celles qui sont tout simplement méfiantes – comme cela peut être le cas face à de nouvelles maladies, de nouveaux soins ou de nouveaux antidotes élaborés avec des technologies inédites comme pour le Covid-19 – et qui changeront d’avis ou ne manifesteront pas cette intention en un comportement de refus.
Une déconnexion conceptuelle-empirique
La deuxième problématique à prendre en compte, c’est la difficulté à mesurer avec fiabilité la perception des citoyens. Les sondages sont souvent utilisés comme « preuve » que les gens pensent mal, qu’ils ont de fausses perceptions ou que celles-ci sont biaisées. Un article, en cours de publication par Matthew Graham, de l’Institute for Data, Democracy and Politics de la George Washington University (Etats-Unis), pointe plusieurs problèmes méthodologiques avec les conclusions qui sont tirées de ce genre d’enquêtes d’opinion. Le premier, c’est que ces sondages partent des prémisses, d’une stabilité des croyances, d’attitudes et de comportements dans le temps ; or nous savons que ces choses évoluent, notamment dans des situations nouvelles et incertaines sous l’influence des informations disponibles à un moment donné. Graham note un deuxième problème, en pointant du doigt une déconnexion conceptuelle-empirique. Par exemple, il a été constaté que les personnes interrogées durant les enquêtes d’opinion ont souvent tendance à donner une réponse même lorsqu’elles n’ont aucune idée sur la question.
La médiation reste capitale
Ces deux questions voient émerger le danger de baser les politiques publiques sur les sondages. Mais, attention, cela ne veut pas dire que les mouvements anti-vaccination n’ont pas d’impact. Plusieurs événements récents, notamment en Italie (encore un bon millier de manifestants dans le centre de Rome fin septembre) ou en Ukraine, ont eu des conséquences assez graves sur le déroulement de la campagne. L’équilibre reste parfois fragile et il est capital pour les soignants, mais aussi pour les médias, de continuer à expliquer les mécanismes d’action et de faire de la pédagogie sur ces sujets. Une telle démarche est tout à fait compatible avec une vision mesurée qui ne tombe pas dans l’exagération des chiffres ni dans la dramatisation. D’elle, dépendent nos mécanismes de formation d’opinion ainsi que de leur traduction, ou non, en comportements. ✸