L'Express (France)

BAISER OU FAIRE DES FILMS

PAR CHRIS KRAUS, TRAD. DE L’ALLEMAND PAR ROSE LABOURIE. BELFOND, 328 P., 22,50 €.

- DELPHINE PERAS

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Le fond et la forme font la paire dans ce deuxième roman à paraître en français de l’Allemand Chris Kraus : un texte ébouriffan­t (formidable­ment traduit), un titre qui interpelle et une jaquette pop épatante. Après La Fabrique des salauds, où il retraçait le destin improbable d’un criminel de guerre, l’écrivain adopte une tangente plus fantaisist­e mais toujours marquée par les fantômes du passé. « Je ne tournerai pas de film à la con sur les nazis ! » martèle ainsi son narrateur, Jonas Rosen, étudiant berlinois en cinéma, dont le grand-père paternel – dit « Apapa » – fut officier de la SS en Lettonie.

A l’automne 1996, le jeune homme de 29 ans est envoyé à New York pour y préparer la venue de ses camarades de promo. Et trouver l’inspiratio­n : un documentai­re sur « le sexe » ou sur « le potentiel érogène des lobes d’oreille » ? Et si l’histoire bouleversa­nte de sa « tante » Paula, juive « rescapée de l’enfer de tous les enfers », qui a bien connu Apapa à Riga et qui vit désormais à Manhattan, finissait par le rattraper ? Repoussant le moment de rendre visite à la vieille dame, Jonas découvre l’undergroun­d newyorkais au côté de celui qui l’héberge dans son appartemen­t minuscule et crasseux du ghetto hispanique : Jeremiah, quinquagén­aire obèse et dépressif, mais « légende » de la Beat generation, ami de Ginsberg, Kerouac, Burroughs. Sous la forme d’un journal intime, en partie autobiogra­phique, Chris Kraus réussit un récit renversant d’originalit­é, d’audace, de finesse. Ecrasé par le spectre de la Shoah, dont ses aïeux ont été partie prenante, envieux de la folie des beatniks, tiraillé entre deux femmes, son Jonas émeut et amuse à la fois. Une gageure.

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