Remboursement de la dette : la copie du sage Bayrou
Le haut-commissaire au Plan a dévoilé, le 24 février, une stratégie en trois temps pour gérer le remboursement de la créance due à l’épidémie sur plus de trente ans.
La question avait presque fini par tourner à la blague : « Mais que fait Bayrou ? » Nommé à la fin de l’été à la tête du haut-commissariat au Plan – une fonction ressuscitée pour lui –, le président du MoDem s’était fait discret à l’automne. Quelques rares apparitions au Conseil économique, social et environnemental, et la rédaction d’une note très consensuelle sur la souveraineté industrielle. François Bayrou a pris son temps pour s’installer. Des bureaux neufs dominant l’esplanade des Invalides, à un jet de pierre de l’Assemblée nationale. Et la constitution d’une équipe commando : un proche de Chevènement, un ancien général des forces spéciales, une experte de l’énergie, une habituée des arcanes bruxellois. Et, au poste de secrétaire, Eric Thiers, conseiller d’Etat, spécialiste de Charles Péguy. Ensuite, le Béarnais est passé à l’attaque. D’abord sur le volet politique, avec la proportionnelle. Plus récemment avec l’explosif sujet de la dette. Dans une longue note de 16 pages, le haut-commissaire a dévoilé une stratégie en trois étapes pour gérer cette « dette de guerre » et faire en sorte que son remboursement ne pèse pas des décennies sur les générations futures.
L’enjeu est impressionnant. En l’espace de huit mois, la dette publique s’est alourdie de près de 20 points : elle a frôlé les 120 % du PIB fin 2020, et devrait grimper encore cette année, atteignant un niveau inconnu en temps de paix. Un poids qui fait peser un énorme risque sur l’édifice européen. En effet, l’an passé, la France est devenue le plus gros émetteur de titres obligataires de la zone euro. La dette publique française représente ainsi 24,1 % du stock total de dette de la zone, devant celles de l’Italie (23,1 %), de l’Allemagne (20,8 %) et de l’Espagne (11,8 %).
Alors que l’idée d’un effacement partiel de ces créances, notamment celles détenues par la Banque centrale européenne, se répand depuis quelques semaines, Bayrou écarte d’emblée cette piste. « Cette idée peut paraître séduisante […]. Derrière ces milliards, il paraît n’y avoir personne qu’un effacement de la dette léserait. Mais le recours à l’emprunt est dirigé par une logique implacable. A l’instant où il serait décidé qu’un Etat ne respecterait pas ses engagements, même en les aménageant, alors plus aucun emprunt ne serait possible », écrit-il. Il faudra donc rembourser cette montagne d’argent. Mais pas n’importe comment. De fait, c’est presque un plan de restructuration, comme on a pu le faire autrefois avec certains pays émergents surendettés, que Bayrou propose.
Première étape, la définition du périmètre de la dette Covid. Pas question, souligne le haut-commissaire, de mélanger les créances héritées du passé et celles liées à la gestion de la crise sanitaire. Exit aussi les dépenses liées au fonctionnement habituel de l’Etat. En revanche, tous les engagements liés à la survie de certains secteurs comme le transport aérien, l’aéronautique, le tourisme, l’hôtellerie, la restauration, l’événementiel – auxquels il faudra ajouter les dépenses d’urgence
comme le chômage partiel, le fonds de solidarité et celles comprises dans le plan de relance et de reconstruction de l’économie – seront agrégés. Et l’addition ? Entre 400 et 600 milliards d’euros, soit de 20 à 25 % du PIB, d’après François Bayrou, même s’il laisse à la Cour des comptes le soin d’être « garante de l’objectivité et de la cohérence de ce travail ».
Deuxième étape du plan Bayrou : différer les remboursements de cette dette d’au moins une décennie. Impossible, en effet, selon le haut-commissaire, de freiner la reprise et les nécessaires investissements que devra faire l’Etat pour relancer la machine et réindustrialiser la France par des charges d’intérêt trop lourdes. « On pourra considérer que, en dix années, l’économie du pays aura eu le temps nécessaire pour se redresser […]. Dix années pour reconstruire et partir à la reconquête des capacités productives du pays, donc du financement de ses systèmes de protection sociale et de solidarité, reportant au début des années 2030 les échéances de la dette Covid, sans que celle-ci n’augmente pendant la période de latence », écrit-il encore.
Dernière étape de sa stratégie : le rallongement de la période de remboursement sur une durée d’au moins trente ans. « A l’issue du différé d’amortissement et d’un allongement de la maturité de la dette, le besoin de financement annuel serait donc de l’ordre de 15 à 20 milliards d’euros par an à partir de 2030. » Concrètement, il faudra donc consacrer, à partir de ce moment-là, entre 0,5 % et 0,7 % du PIB chaque année au remboursement de la dette Covid.
Reste la question qui fâche et sur laquelle Bayrou ne se prononce pas : où trouver l’argent ? La croissance pourrat-elle financer cette charge supplémentaire ou faudra-t-il alourdir les impôts ? A moins que certaines réformes structurelles, comme celle du système de retraite, ne permettent de dégager les sommes suffisantes…
En attendant, avec ce plan en trois temps, le haut-commissaire coupe un peu l’herbe sous le pied de la commission Arthuis. Cette dernière, instaurée tout début décembre par le Premier ministre, Jean Castex, et chargée de réfléchir à l’avenir des finances publiques du pays dans un monde post-Covid, doit théoriquement rendre sa copie dans le mois qui vient. ✸