Italie Salvini soudain devenu pro-européen
Ralliés au gouvernement de Mario Draghi, la Ligue et son « Capitaine » ont opportunément tourné la page anti-Bruxelles.
Depuis quinze jours, on ne voit que lui à la télévision, déclinant sur tous les tons son nouveau credo européen. « Nous avons les mains, les pieds et le coeur en Europe, mais naturellement je veux une Europe qui défende les entreprises et l’agriculture italiennes », déclarait récemment Matteo Salvini, le patron de la Ligue (extrême droite). Qu’estil donc arrivé à l’homme qui, en 2016, réclamait un référendum sur l’euro dans la foulée du vote pour le Brexit et voulait sortir de la monnaie unique ? Il y a un an, ce héraut du souverainisme décrivait Bruxelles comme « un nid de serpents et de chacals »… Le Salvini nouveau se dit ouvert à diverses propositions de la Commission, y compris sur l’immigration, et au Parlement européen, ses députés ont voté sans broncher le plan de relance qu’ils boudaient encore il y a quelques semaines.
La conversion de Matteo Salvini est le premier miracle de « Super Mario », s’amusent les Italiens, dont l’espoir a été ravivé par l’arrivée à Rome de l’ancien gouverneur de la BCE. Le chef de la Ligue, qui a apporté son soutien « sans veto ni condition » à Mario Draghi, a fait son aggiornamento pendant les consultations précédant la composition du nouveau gouvernement. Il y a gagné un grand pouvoir de nuisance : par le jeu des équilibres parlementaires, la Ligue est désormais en mesure à elle seule de faire tomber l’exécutif. Salvini a accepté une paix des braves. Il s’engage à mettre de côté les dissensions pour privilégier la relance économique et la modernisation du pays. En échange, il a placé trois hommes dans la nouvelle équipe au pouvoir, dont le puissant n° 2 de son parti, Giancarlo Giorgetti, qui, en tant que ministre du Développement économique, occupera un poste clef, influençant directement la distribution des 209 millions d’euros du plan de relance européen attribués à l’Italie. « Je laisse aux autres les étiquettes : fasciste, communiste, européen… Je suis pragmatique », se justifie Salvini. Sur les réseaux sociaux, la base radicale s’indigne d’une collaboration avec la gauche, également présente au gouvernement. Mais sa hausse récente dans les sondages semble donner raison au « Capitaine » – le surnom qu’il s’est donné.
De la Lombardie à la Vénétie, terres dirigées par la Lega, son nouveau discours passe bien. « Depuis que Matteo a annoncé qu’il soutenait le gouvernement Draghi, je ne fais que recevoir des messages de remerciements de la part de maires, de chefs d’entreprise, d’artisans », se félicite Giovanni Malanchini, 46 ans, conseiller régional de la Ligue en Lombardie. « Le pays traverse une période de grande souffrance économique et sanitaire. Un homme politique doit apporter des réponses concrètes », ajoute Mario Conte, 41 ans, le maire léguiste de Trévise. Le nord de l’Italie a été la première région d’Europe touchée par la pandémie ; depuis un an, les confinements s’y succèdent. Salvini a embrassé les intérêts de la région la plus prospère d’Italie, cellelà même qu’il avait conquise en prenant la tête de ce qui était à l’époque la Ligue du Nord. Et qui attend désormais impatiemment la manne européenne.
Pour comprendre l’évolution de Salvini, il faut écouter Giancarlo Giorgetti, son bras droit. Ce dernier est convaincu depuis
longtemps que Mario Draghi est le meilleur pour sortir la Botte de la crise, et appelle à un gouvernement de salut public depuis mai. Ce Lombard formé à l’économie d’entreprise dans la prestigieuse université Bocconi représente l’aile libérale de la Ligue, le relais des milieux d’affaires et des banques au sein du parti. Responsable des relations internationales de sa formation, il est convaincu que l’intégration de l’industrie du nord de la Péninsule à celle de l’Allemagne rend essentiel un lien privilégié entre les deux pays. « Nous sommes le premier parti politique italien et nous devons parler avec qui […] gouvernera l’Allemagne et influencera l’Europe », déclarait-il l’an dernier au quotidien turinois La Stampa.
Giorgetti pense que l’alliance européenne de son parti avec l’extrême droite allemande, l’AfD, dans le groupe Identité et démocratie – dont est aussi membre le Rassemblement national – ne mène nulle part : une tache sur la réputation de la Ligue. On lui prête le projet d’emmener cette dernière au sein du Parti populaire européen (PPE), regroupant des formations de droite. Cet automne, il est allé à Berlin rencontrer des membres de la CDU/CSU. Mais, pour les conservateurs allemands, expliquait son interlocuteur Marian Wendt, président de la commission des pétitions du Bundestag, très actif dans les relations Berlin-Rome, « il est important que la Ligue […] cesse d’utiliser la rhétorique populiste, antieuropéiste et particulièrement agressive sur l’immigration des dernières années ».
Officiellement, la Ligue dément tout rapprochement à Strasbourg avec le PPE. Dans les faits, cette prise de distance vis-à-vis des eurosceptiques s’est accélérée après les élections régionales du printemps dernier. Solidement confirmée au Nord, la Lega a réalisé une mauvaise performance au Sud. Pour beaucoup, la transformation d’un parti régionaliste et séparatiste en une formation identitaire et nationaliste, obsédée par l’immigration clandestine, a montré ses limites. Surtout au moment où l’Europe ouvrait son portefeuille. La Ligue – qui avait obtenu 34 % des voix aux dernières élections européennes de 2019 – est retombée à 22-23 points dans les sondages, pendant que l’autre parti souverainiste du pays, les Fratelli d’Italia (Frères d’Italie) de Giorgia Meloni, gagnait du terrain.
Cette dernière, eurosceptique convaincue et bien implantée au Sud, n’a pas obtenu les élections anticipées qu’elle réclamait. Et a, pour sa part, refusé sa confiance au gouvernement Draghi. En larguant les amarres qui le liaient à Meloni, Salvini sait qu’il risque de perdre la frange nationaliste, identitaire, de son électorat. Mais avec son discours européen, il consolide la crédibilité de la Ligue dans l’électorat conservateur. S’agit-il d’un coup tactique pour rester dans la partie à un moment critique ou d’une stratégie durable ? L’européisme de la Ligue craquera-t-il à la première difficulté ? Les avis sont partagés. « Je prends acte des nouveautés », commente, laconique, Paolo Gentiloni, le commissaire européen aux Affaires économiques. « Le personnage est imprévisible et il faudra vérifier au jour le jour que ses promesses européistes se concrétisent dans l’action gouvernementale », complète Ferdinando Nelly Feroci , président de l’Istituto Affari Internazionali, le plus important « think tank » transalpin, et ancien représentant permanent de l’Italie à l’UE. Pour l’instant, Salvini s’est trouvé un nouveau cheval de bataille, bien italien celui-là : la réouverture des salles de gym et des restaurants en soirée. ✸