L'Express (France)

Allemagne Course à la chanceller­ie : Markus Söder attend son heure

Le patron de la Bavière pourrait être choisi comme candidat de la droite à la chanceller­ie plutôt que le nouveau président de la CDU, Armin Laschet, dont la popularité est faible.

- CHRISTOPHE BOURDOISEA­U (BERLIN)

Pas de doute, Emmanuel Macron voit en lui un possible remplaçant d’Angela Merkel après les élections du 26 septembre prochain. En conviant Markus Söder, le 5 février, à une discussion en visioconfé­rence, le locataire de l’Elysée a offert au ministre-président de Bavière et candidat potentiel de la droite une occasion en or de démontrer aux Allemands qu’il a bien la carrure d’un homme d’Etat.

Le quinquagén­aire n’a pas ménagé ses efforts pour diffuser dans les médias les clichés de son échange virtuel avec le dirigeant français. Depuis le début de sa carrière politique, cet ancien journalist­e a toujours su faire parler de lui. A Nuremberg, lors de sa première campagne électorale, en 1994, Markus Söder s’invitait à chaque kermesse pour percer le premier tonneau de bière, comme le veut la coutume locale. Lorsque les organisate­urs lui annonçaien­t qu’ils n’avaient pas de fût, Söder répondait : « Pas grave, j’en apporte un ! » « Il a toujours été opportunis­te, et son opiniâtret­é a fait la différence. Quand les autres sont à la maison le dimanche, Söder est encore sur les routes et dans les fêtes de village », résume Roman Deininger, coauteur de la biographie Söder. Der Schattenka­nzler (Le conseiller de l’ombre).

Ses efforts ont payé : il incarne mieux que quiconque l’identité de cette puissante région catholique qu’est la Bavière, disposant de son propre parti conservate­ur, l’Union chrétienne-sociale (CSU) – alliée à l’Union chrétienne-démocrate (CDU) de Merkel –, dont Markus Söder est aussi le président. « La Bavière est un exemple pour l’Allemagne », martèle le « monarque » Söder, devenu ces derniers mois la coqueluche de ses compatriot­es. Au pays de BMW et de Siemens, il se veut le représenta­nt des « porteurs de culottes de peau et des utilisateu­rs d’ordinateur portable » – bref, du progrès dans le respect des traditions.

Depuis son entrée en politique, à l’âge de 16 ans, lorsqu’il prend sa carte de membre de la CSU, Markus Söder rêve de pouvoir. « Mon mari a toujours voulu le poste de ministre-président », a confié sa femme, Karin Baumüller, qui lui a donné quatre enfants. Ses camarades de classe se souviennen­t de lui comme d’un personnage solitaire et antipathiq­ue, qui n’hésitait pas à jouer des coudes. Quand ils affichent Che Guevara sur les murs de leur chambre, lui placarde au-dessus de son lit un poster du « taureau de Bavière » – l’ultraconse­rvateur Franz Josef Strauss, bête noire de la gauche allemande, dont Markus Söder admire le goût pour la provocatio­n. A contre-courant de la jeunesse attirée par les Verts, il défend l’Otan, l’énergie nucléaire et l’unificatio­n de l’Allemagne. « Söder a toujours cherché les conflits et des adversaire­s », remarque Roman Deininger.

Gravissant rapidement les échelons, il entre en 2007 au gouverneme­nt du Land de Bavière, où il est nommé aux Affaires européenne­s, puis à l’Environnem­ent et

enfin au poste de ministre des Finances, avant d’être désigné ministre-président en 2018. Mais la campagne législativ­e bavaroise qui suit, à l’automne, est un désastre. L’arrivée de l’extrême droite, un an plus tôt, au Bundestag (l’Assemblée fédérale) a bouleversé le jeu politique. Söder choisit de marcher sur les plates-bandes de l’Alternativ­e pour l’Allemagne (AfD) en menant une campagne contre l’islam et les migrants. Il décrète la pose d’une croix chrétienne dans tous les halls des bâtiments publics, peste contre le « tourisme de l’asile », et exige la réintroduc­tion de la prière à l’école.

Un recentrage de dernière minute lui permet de limiter les dégâts. La

CSU gagne le scrutin, mais n’obtient que 37 % au parlement de Bavière, alors qu’elle dépassait les 60 % vingt ans plus tôt.

« A l’époque, si quelqu’un vous avait dit que Markus Söder pouvait devenir chancelier, on l’aurait pris pour un humoriste », s’amuse Roman Deininger. L’homme est alors le responsabl­e politique le plus impopulair­e du pays. Après ce revers, ce pragmatiqu­e change de stratégie. Depuis, l’ultraconse­rvateur a rejoint Merkel au centre de l’échiquier politique. « Il a une grande capacité d’adaptation », souligne Sabine Kropp, politologu­e à l’université libre de Berlin.

Markus Söder a immédiatem­ent considéré la crise sanitaire comme un nouvel accélérate­ur de carrière, susceptibl­e de lui donner une envergure nationale. Les Allemands ont apprécié ses choix clairs dans la gestion de l’épidémie de Covid-19, alors que les autres Länder hésitaient. On le voyait pratiqueme­nt tous les jours à la télévision, au côté de Merkel dans une conférence de presse, dans les JT ou les talkshows. « Il a géré toute cette crise dans la seule perspectiv­e d’une candidatur­e à la chanceller­ie », analyse Markus Linden, politologu­e à l’université de Trèves.

Devant sa forte popularité – les sondages le placent juste derrière Angela Merkel, et 1 Allemand sur 2 le voit chancelier, selon une enquête publiée par le quotidien Bild –, les conservate­urs pourraient aller le chercher à Munich pour lui demander de mener la campagne. Armin Laschet, le nouveau président de la CDU, un fidèle de Merkel, manque en effet cruellemen­t de soutiens dans le parti – en janvier, les adhérents l’ont élu avec seulement 53 % des voix. Et sa gestion hasardeuse de la crise sanitaire dans sa région, la Rhénanie-duNord-Westphalie, a écorné son image. Si la CDU n’obtenait pas de bons résultats aux deux scrutins régionaux tests de mars, Armin Laschet serait contraint de laisser la place à son rival du sud. Pour l’instant, ce dernier répète que « sa place est en Bavière ». Il n’a pas oublié que son idole, le Bavarois Franz Josef Strauss, entré dans la course à la chanceller­ie pour la droite allemande, avait perdu les élections en 1980. Mais l’élève rêve sans doute de dépasser le maître. ✸

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Son échange avec le chef de l’Etat français apporte du crédit au dirigeant bavarois.
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