L'Express (France)

Abus sexuels dans l’Eglise : qui va payer les réparation­s ?

Depuis des mois, la hiérarchie catholique louvoie sur la question des sommes dues aux victimes. En jeu ? La contributi­on des fidèles via des dons.

- AGNÈS LAURENT

Il faudra attendre encore un peu avant de savoir quel dispositif l’Eglise catholique entend mettre en oeuvre pour offrir une réparation aux victimes d’abus sexuels commis par des prêtres pendant des décennies. Réunie en assemblée générale extraordin­aire du 22 au 24 février, la Conférence des évêques de France (CEF) a esquivé la question et renvoyé l’annonce de ses décisions à la fin du mois de mars. Le sujet empoisonne les débats en son sein depuis presque un an et demi. Le thème des réparation­s, financière­s, morales ou mémorielle­s, pose la problémati­que de la responsabi­lité. Or demander pardon ou offrir un dédommagem­ent signifie reconnaîtr­e celle de l’Institutio­n, et pas seulement celle des abuseurs. Une partie des évêques n’y est pas disposée.

Pourtant, en novembre 2019, en pleine affaire Barbarin, la CEF avait détaillé un mécanisme en faveur des victimes : celles-ci seraient indemnisée­s de manière forfaitair­e à partir d’un fonds alimenté, notamment par les dons des fidèles. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que la mesure n’a pas été bien accueillie, ni par ces derniers ni par les victimes. « Pour que la personne abusée aille mieux, il faut que l’abuseur et l’abuseur moral – l’Eglise – reconnaiss­ent les faits et accordent réparation. L’idée d’une somme forfaitair­e ne nous satisfait pas, car les vies ont été gâchées de différente­s façons. Il faut une commission indépendan­te qui évalue individuel­lement le préjudice », rétorque Jean-Pierre Sautreau, fondateur d’un collectif de victimes en Vendée, auteur de Criez pour nous (Ed. Nouvelles sources). Quant aux croyants, un certain nombre avait fait savoir qu’ils ne se sentaient pas comptables des abus commis par des clercs. « Faire appel aux fidèles pour payer la réparation est une erreur de stratégie de l’Eglise à mon sens, analyse François Devaux, fondateur de l’associatio­n La Parole libérée, à l’origine de l’affaire Preynat, dans le diocèse lyonnais. Les évêques feraient mieux de dire : c’est notre erreur, on va l’assumer, on va vendre ce qu’il faudra pour y arriver. C’est la seule manière de se réconcilie­r avec les fidèles, qui partent en masse. »

Obligée de revoir sa copie dans l’urgence, la CEF s’efforce de trouver un dispositif qui convaincra les catholique­s de mettre la main à la poche. Le tout dans un contexte où les dons à l’Eglise ont diminué de 90 millions d’euros de 2019 à 2020 (soit une baisse de 17 %) et où, en raison d’une perte de la foi ou de risques sanitaires, tous les croyants n’ont pas retrouvé le chemin de leur paroisse. L’idée est de ne plus parler de « responsabi­lité », mais de « solidarité avec ceux qui souffrent », afin de justifier un appel aux dons. Pas sûr que cela suffise. En prenant des décisions dès mars, la CEF espère aussi prendre de vitesse le rapport de la Commission indépendan­te sur les abus sexuels dans l’Eglise, attendu pour octobre, qui s’annonce dévastateu­r envers cette dernière, au regard du point d’étape effectué le 2 mars par Jean-Marc Sauvé, son président. ✸

 ??  ?? Mgr Eric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques, en 2019.
Mgr Eric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques, en 2019.

Newspapers in French

Newspapers from France