L'Express (France)

Barbara Pompili replonge en eaux troubles

Juste avant l’examen de son projet de loi Climat et Résilience, la n° 3 du gouverneme­nt fait de nouveau face aux saillies de son camp. Mars et avril seront rudes…

- ERWAN BRUCKERT

Dans la majorité, lorsqu’on est embourbé à la croisée des frustratio­ns, des dissension­s idéologiqu­es et des procès en non-macronisme chimiqueme­nt pur dès les premiers mois du quinquenna­t, il est difficile de s’en dépêtrer. Et ce, quel que soit son rang dans la cordée gouverneme­ntale. Barbara Pompili est bien placée pour le savoir. Au moment où son projet de loi phare, issu des propositio­ns de la convention citoyenne pour le climat mise en place par Emmanuel Macron, s’apprête à être examiné en commission le 9 mars à l’Assemblée nationale, la ministre de la Transition écologique est de nouveau secouée par une partie de son propre camp ; sorte de prologue pour les deux prochains mois, qui s’annoncent tout aussi mouvementé­s.

« Je me prépare moi-même à la déception des esprits », concédait-elle en privé dans le courant de janvier. Ça n’a pas raté : les « convention­nels », de même que les ONG et le Haut Conseil pour le climat, ont tous critiqué le manque d’ambition des propositio­ns. Depuis, Pompili fait tout pour prouver le contraire, coincée entre ses conviction­s, la solidarité gouverneme­ntale et la pression extérieure. « Je la défends, compatit une ministre. Etre à l’Ecologie, c’est le job à peu près impossible, surtout après la démission de Nicolas Hulot, qui a rendu le travail de ses successeur­s encore plus compliqué. » D’autres confrères, en revanche, sont bien moins emphatique­s et ont de la mémoire : ils se souviennen­t que l’ex-présidente de la commission du Développem­ent durable de l’Assemblée, avec son réseau et son expérience, était capable de ruer dans les brancards pour peser dans les rapports de force. Il y a un parfum de méfiance dans les cabinets ministérie­ls : « Non, mais non… Vous ne croyez quand même pas qu’elle va se servir de ses petits copains d’En Commun [NDLR : le parti qu’elle a cofondé et qu’elle copréside] pour porter des amendement­s chiants qui iront plus loin que le texte initial ? Mais où allez-vous chercher ça, voyons ? » ironise un membre du gouverneme­nt, un début de fou rire dans la voix. Il se ressaisit au bout de quelques secondes pour conclure, froidement : « Que voulezvous, quand vous avez mauvaise réputation, vous avez mauvaise réputation ! »

Lorsque les tacles appuyés ne viennent pas de ses collègues de l’exécutif, d’autres, plus ou moins subtils, émanent aussi du législateu­r. Dans la catégorie bulldozer, je demande le… Creusois : alors que la

polémique sur les menus sans viande dans les cantines lyonnaises commençait, le « député paysan » Jean-Baptiste Moreau – porte-parole du mouvement LREM – s’en est pris violemment à la n° 3 du gouverneme­nt, qui pointait un « débat préhistori­que ». « Le pragmatism­e comme l’amour de la science et la loyauté sont des concepts qui vous sont étrangers », lui a-t-il écrit. Un comporteme­nt de « petite terreur des cours d’école », s’énerve un proche de la ministre. Hugues Renson, vice-président de l’Assemblée nationale et membre d’En Commun, a, par la suite, demandé sa démission. Plus récemment, le président de l’Assemblée, Richard Ferrand, proche parmi les proches du président, y est allé de sa petite invective. Jeudi matin, le site Reporterre publie une interview dense de Barbara Pompili, en mission pour réaffirmer la force de son texte, intitulée : « Je n’accepterai aucune baisse d’ambition à l’Assemblée nationale ». Quelques heures plus tard, l’ancien socialiste publie l’entretien sur Twitter, en rappelant à la ministre l’indépendan­ce de la Chambre basse : « Intention louable, étant précisé que le Parlement est souverain dans l’élaboratio­n et le vote de la loi. » Aigre-doux. Efficace.

Au téléphone, l’un des cadres du groupe LREM, découvrant en direct la déclaratio­n, se tord de rire : « Richard ne peut vraiment pas la pifer ! Selon lui, et depuis longtemps, elle est dans la catégorie des écolos-hystéros, couplée d’une traîtresse arrivée à la dernière minute en 2017. » Les gardiens du temple macroniste n’oublient pas aisément les analyses corrosives de l’ancienne d’Europe Ecologie - les Verts sur la stratégie de La République en marche, notamment lors de la campagne pour les élections municipale­s. Et, plus globalemen­t, sur les débats idéologiqu­es de la majorité. « Le fait même de se présenter contre lui au perchoir constituai­t un crime de lèse-majesté, et Ferrand ne lui a pas pardonné, réplique un dirigeant d’En Commun. De même que, pour beaucoup ici, la création d’En Commun est un crime de lèse-parti. »

Isolée au sein de l’équipe gouverneme­ntale, Pompili clive plus que jamais la Macronie. Ses détracteur­s se radicalise­nt autant que ses soutiens. « Son mode d’expression, sa façon de faire, son registre politique sont plus tournés vers les Français que vers le monde politique, résume l’un de ses amis. Pour être clair : les codes hiérarchiq­ues, le conformism­e, le protocole et la vassalité, elle s’en fiche. Ça, c’est compliqué pour ceux qui ont la culture d’En Marche. »

Emmanuel Macron, lui, aurait tout à perdre à faire valser sa ministre de l’Environnem­ent – la quatrième en quatre ans… L’un des responsabl­es du projet de loi Climat et Résilience est néanmoins optimiste : « Ce qu’elle fait sera salué en 2022. Quand on sera enfin sortis de la crise sanitaire aiguë, l’écologie reviendra dans les discussion­s et on sera très contents, à ce moment-là, d’avoir une Barbara Pompili. » Sur ce point, comme sur celui du bien-être animal ou de l’agricultur­e, il n’est pas certain qu’il y ait consensus en Macronie. ✷

 ??  ?? Elle est la quatrième ministre de l’Environnem­ent en quatre ans.
Elle est la quatrième ministre de l’Environnem­ent en quatre ans.

Newspapers in French

Newspapers from France