« Easy », le projet « petits prix » de relance du TGV
Pour la SNCF, les prix sont un sujet tabou. La crise a mis les finances dans le rouge, et la refonte tarifaire promise pour l’été s’annonce stratégique et explosive.
Nom de code : « Easy ». Objectif : revoir entièrement la politique tarifaire afin d’attirer de nouveau les voyageurs. Depuis des semaines, Jean-Pierre Farandou, PDG de la SNCF, a missionné un groupe de travail pour plancher en coulisse sur le moteur de la relance du groupe : les futurs tarifs. « Pour repartir, il nous faudra jouer sur les prix et l’argument écologique. On travaille dessus… », confiait-il, de façon assez énigmatique, en marge de la présentation des résultats annuels du groupe le 24 février.
Après une année de pandémie plombant les comptes avec une perte de 3 milliards d’euros, dans la foulée des grèves historiques de 2018-2019, qui lui ont coûté 800 millions d’euros, la SNCF cherche la bonne formule pour séduire son public. Car il en va de sa survie. Certes, le groupe est aidé par l’Etat, qui a injecté plus de 4 milliards d’euros, compensant en partie la chute de 50 % du trafic TGV, et qui a décidé de fermer des liaisons aériennes pour renforcer l’attractivité du rail. Mais ce qui préoccupe le PDG, c’est l’activation des leviers qui permettront de retrouver l’équilibre.
Avec ses façons directes, le Girondin manage ses équipes, demande des rapports détaillés et maintient tout le monde sous pression. Car la SNCF ne doit pas se rater. Les maîtres mots : « simplicité, accessibilité et transparence ». Pas facile. « Les gens pensent que le train est cher, car ils sont perdus dans nos offres, reconnaît Alain Krakovitch, directeur de Voyages SNCF. Nous devons donc séduire les pros, les seniors et attirer la clientèle loisirs. » JeanPierre Farandou l’a promis, la trajectoire à suivre sera « des petits prix jusqu’au départ du train ». Le chantier est herculéen. « Le système de réservation est très lourd et ne permet pas beaucoup de révolutions. Il faudra avancer à petits pas », prévient déjà un consultant qui connaît par coeur Resarail, le vieux logiciel maison. C’est pourquoi la direction, prudente, retarde la présentation du projet. « Nous proposerons des choses
à partir de juin », promet Alain Krakovitch. Parmi les pistes envisagées, la direction plancherait sur une diminution du nombre de plateaux du yield management, ce principe de tarification dynamique qui évolue en fonction du temps et des places disponibles.
Un virage à 180 degrés. « La SNCF a toujours eu comme principe “plus je réserve tôt, plus j’ai des tarifs intéressants”. Dans l’aérien, on voit bien que le yield s’adapte, s’affine, avec des prix presque individualisés », explique Bertrand Le Moigne, associé au cabinet SIA Partners. Faire des propositions très attractives de dernière minute, cela signifie que les tarifs plus élevés seront proposés pour ceux qui réservent plus tôt, entre un mois et une semaine, par exemple. Car, il ne faut pas rêver, il s’agit pour la SNCF de cesser de perdre de l’argent. A cette fin, Jean-Pierre Farandou veut donc faire voyager plus de monde. Notamment les automobilistes, sa cible n° 1. Ainsi, la SNCF compte ressortir en 2022 des trains Corail qui opèrent des liaisons longue distance à petit prix et à petite vitesse, en s’inspirant des fameux cars Macron. Paris-Marseille, ParisNantes, Paris-Bordeaux sont déjà dans les cartons.
L’entreprise pourrait aussi jouer sur les cartes de transport et/ou de fidélité, afin d’aller vers un modèle hybride entre l’abonnement et le billet unique. « Cette piste est sur la table », précise un proche du dossier, qui admet en passant que la question du positionnement de Ouigo, le TGV low cost de SNCF pesant déjà 25 % de la grande vitesse en France, est un problème supplémentaire. « Ce que les gens ont le plus de mal à comprendre, ce sont les conditions de flexibilité, ce qui est remboursable ou pas. Le but de la SNCF est semble-t-il d’avoir des offres plus transparentes », explique Audrey Détrie, directrice générale de Trainline France, une plateforme européenne de réservations de billets.
Si ce chantier tarifaire est capital pour la SNCF, c’est qu’un autre big bang, celui de la concurrence, va chambouler le géant français du rail. Beaucoup de projets ont été mis sur pause avec la pandémie (FlixTrain), mais les premiers TGV italiens (Thello-Trenitalia) devraient, selon une source très au fait sur le sujet, partir de la gare de Lyon à Paris dès le début de septembre. Des tests ont déjà été effectués ces dernières semaines, et le Transalpin opérerait trois allers-retours par jour vers le Rhône. « La ligne entre Paris et Lyon est loin d’être saturée », souffle-t-on au sein de SNCF Réseau, filiale en charge de commercialiser les sillons.
La Renfe, l’opérateur espagnol, ne devrait pas envoyer ses TGV en France avant 2022, et encore, uniquement jusqu’à Lyon et à Marseille, puisqu’elle n’a toujours pas son agrément pour « monter » vers la capitale. Enfin, selon nos informations, un entrepreneur français au profil atypique, Adrien Aumont (ex-KissKissBankBank), a déjà pris contact avec le gestionnaire d’infrastructure afin d’obtenir des horaires en vue d’un service de train de nuit entre capitales européennes qu’il compte opérer depuis Paris. Un signe de plus que le rail fait toujours rêver. ✷