L'Express (France)

Covid : a-t-on vraiment tout tenté pour protéger les plus fragiles ?

L’idée « d’auto-isoler » les personnes les plus à risque provoque crispation­s et polémiques. Ne faudrait-il pas plutôt les aider à mieux se prémunir contre le virus?

- STÉPHANIE BENZ

L’auto-isolement des personnes les plus fragiles : c’est une recommanda­tion que le conseil scientifiq­ue n’a cessé d’appeler de ses voeux. D’abord en avril dernier, par la voix de son président le Pr JeanFranço­is Delfraissy, puis dans des avis parus en septembre, octobre, et encore début janvier, dans la perspectiv­e d’une nouvelle flambée épidémique. Récemment, une partie des membres de cette instance a encore avancé cette idée, cette fois via une lettre parue dans la revue scientifiq­ue The Lancet.

Le déploiemen­t de la vaccinatio­n aurait pu laisser espérer que cette question devienne bientôt obsolète. Mais il s’agissait, pour les auteurs de cette tribune, d’anticiper un éventuel « échappemen­t immunitair­e » du virus. Une situation – envisagée à présent par de nombreux épidémiolo­gistes – qui verrait le virus devenir endémique du fait de l’apparition de variants résistants aux vaccins ou à une précédente infection. Des mesures de contrôle et de protection seraient alors à nouveau nécessaire­s, le temps d’adapter et de déployer de nouvelles injections.

Quoi qu’il en soit, le message de ces experts est à chaque fois peu ou prou le même : au-delà des dispositio­ns générales prises pour freiner la circulatio­n du virus (masque, distanciat­ion sociale…), des mesures ciblées sont nécessaire­s, en complément, pour mieux protéger les plus fragiles, personnes âgées ou présentant des facteurs de risque spécifique. A chaque fois, cette propositio­n a provoqué de vives polémiques – y compris d’ailleurs, dans la période la plus récente, au sein du conseil lui-même. Au point que les politiques ont toujours préféré laisser cette idée de côté. Pourtant, il ne s’agit pas dans l’esprit des auteurs d’enfermer ces publics à risque, comme cela a pu être compris, mais plutôt de leur donner les moyens de se protéger.

« Il existe une palette de mesures possibles qui n’ont jamais été vraiment essayées », regrette un observateu­r. Le conseil scientifiq­ue en avait listé quelques-unes dans son avis de fin octobre pour « instaurer un environnem­ent bienveilla­nt tout en limitant les contacts à risque dans un contexte d’épidémie durable ». Cela commençait par le recensemen­t de ces personnes, sur la base notamment des publics connus des municipali­tés pour le risque canicule. Concernant celles déjà auto-isolées, il s’agissait de les appeler régulièrem­ent afin de s’enquérir de leurs besoins – une mesure dont une récente étude a montré qu’elle permettait à elle seule de réduire l’anxiété générée par l’isolement. A la condition bien sûr d’avoir aussi des moyens, équipes sociales ou profession­nels de santé, disponible­s en cas de difficulté. Autre piste très concrète, des horaires réservés dans les supermarch­és pour les personnes fragiles, voire un service de livraison de courses.

Sans oublier une informatio­n personnali­sée, notamment par le biais du médecin traitant, afin de s’assurer que les conseils pour se protéger passent bien. Répéter, par exemple, que l’on peut se promener avec des proches à l’extérieur, à condition de garder le masque et les distances, ou même recevoir à son domicile, sous réserve de ne pas boire ni manger pendant les visites, de façon à rester masqué en toutes circonstan­ces. Des messages que certains imaginent à présent aussi voir diffusés dans les quartiers où l’épidémie flambe, par le biais de médiateurs spécialisé­s. Autrement dit une santé publique de terrain, dont l’Hexagone manque cruellemen­t. Le débat va, sans nul doute, continuer à agiter la société française. ✸

« Il existe une palette de mesures qui n’ont jamais été vraiment essayées »

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