Sur la plage abandonnée, coquillages et télétravail
après les nomades numériques, c’est au tour des salariés de faire leurs valises, ordinateur portable sous le bras, pour oeuvrer depuis quelque île paradisiaque.
Ils sont opérateurs de marché, développeurs informatiques, graphistes, spécialistes en marketing ou en e-commerce et travaillent depuis un petit coin au soleil. D’après un sondage OpinionWay pour Pierre & Vacances, réalisé en septembre 2020, un tiers des cadres envisagent aujourd’hui d’installer leur bureau dans un lieu ordinairement réservé aux vacances. Pour attirer ces salariés au fort pouvoir d’achat, la Thaïlande, par exemple, planche sur un visa de télétravail. « C’est un projet qui était dans les tuyaux depuis un moment, afin de régulariser une pratique qui existe déjà de fait, et qui risque de s’intensifier maintenant que le travail à distance est devenu la nouvelle norme », nous explique l’Office national du tourisme de ce pays d’Asie du Sud-Est. Depuis novembre dernier, Dubaï s’est déjà doté d’un tel dispositif, emboîtant le pas à la Barbade, aux Bermudes, au Costa Rica ou encore au Mexique.
Travailler dans un décor exotique, toute l’année ou quelques mois par an, c’est vraiment le paradis ? Affirmatif, de l’avis d’Eliott, spécialiste en fusion-acquisition, qui a fait ce choix à la sortie du confinement. Il officie désormais depuis Chiangmai, en Thaïlande. « Je vis sur les fuseaux horaires asiatiques, c’est un sacré avantage. Et je peux sortir dans les bars pour décompresser. J’échappe ainsi à la sinistrose qui gagne Paris. Je suis bien plus productif ici que lorsque j’étais coincé dans la grisaille », assure-t-il. 1 Français sur 2 estime ainsi qu’il serait autrement plus efficace dans un environnement plus agréable, selon la même étude OpinionWay. Une tendance qui devrait encore s’accentuer au cours de la prochaine décennie, d’après l’étude sur l’avenir de la mobilité conduite par Kantar pour Movin’On, en novembre : en Europe comme aux Etats-Unis, la génération Z – née entre 1997 et 2010 –a pris conscience de l’impact écologique du tourisme de masse et compte adapter son usage de l’avion, « en prolongeant ses séjours à l’étranger et en mixant vacances et télétravail ».
Pour cette jeunesse, plus que jamais le monde n’a aucune limite. « L’idée de changer le paradigme du travail, de ne plus considérer qu’il nécessite un unique lieu fixe mais que l’on peut avoir un bureau à la carte, fait son chemin », explique le sociologue Ronan Chastellier. « Ce sont des pratiques qui existent déjà dans des pays anglo-saxons. En France, on mène actuellement une très grande enquête sur les transformations des modes de vie et on s’aperçoit que les salariés veulent trouver un équilibre entre le télétravail et le lien social au bureau. Ça pourrait passer par de nouvelles formes de flexibilité, pendant trois mois sous d’autres latitudes puis trois mois en présentiel », décrypte Aurélie Dudézert, chercheuse spécialiste du Knowledge Management et de la transformation numérique des organisations. « Quand on envisage ces possibilités, qu’on y réfléchit, ça ouvre à un vrai projet de développement, poursuit-elle. Les bonnes pratiques managériales sont pragmatiques : les entreprises ont intérêt à ce que leurs employés ne reviennent pas tout le temps sur site, surtout en région parisienne, où le prix du foncier est très élevé. Encourager le télétravail depuis l’étranger peut être dans l’intérêt des employeurs si ça leur permet de développer leur réseau. »
Mais ce nouveau rapport à l’activité professionnelle est-il adaptable à tous les salariés ? Quid des parents ? On ne déscolarise pas ses enfants tous les trois mois, « à moins de partir télétravailler tous les étés », glisse Aurélie Dudézert. Certains clubs de vacances ont d’ailleurs pris les devants, déployant en toute hâte des offres dites de « workation », avec clef 4G en guise de cocktail de bienvenue.