L'Express (France)

Il faut sauver le soldat Egalim

Deux ans après la promulgati­on de cette loi censée répartir justement la valeur entre agriculteu­rs, industriel­s et distribute­urs, beaucoup estiment que le compte n’y est pas.

- LUCAS MEDIAVILLA

Comme un mauvais scénario qui se répète. Crise sanitaire oblige, l’agricultur­e n’a pas tenu Salon à Paris cette année. Mais l’ensemble des acteurs de la chaîne , qui s’empoignent traditionn­ellement lors des négociatio­ns, n’ont pas perdu leurs habitudes. C’est un moment critique. Celui où se fixent une très grande partie des prix pratiqués en magasin et, de fait, la rémunérati­on des agriculteu­rs, des industriel­s de l’agroalimen­taire et des distribute­urs. De l’aveu de nombre des protagonis­tes, les discussion­s ayant abouti le 1er mars, à 23 h 59, ont été d’une tension rare. D’un côté, les agriculteu­rs et industriel­s, touchés par la crise et la flambée des matières premières impactant leurs coûts de production, espéraient répercuter cet effet sur les prix. A la hausse, évidemment. De l’autre, des distribute­urs plus que jamais empêtrés dans une guerre entre enseignes et la recherche des prix bas restaient intraitabl­es sur leurs tarifs d’achat.

« Nous savions que ça allait être très dur. L’adversaire a redoublé d’imaginatio­n pour contourner la loi », résume la patronne de la FNSEA, Christiane Lambert. Le texte en question n’est autre que la loi pour l’équilibre des relations commercial­es dans le secteur agricole et alimentair­e, dite « Egalim ». Promulguée en octobre 2018, elle était censée garantir la juste répartitio­n de la valeur entre les différents acteurs et rééquilibr­er ces négociatio­ns. Elle devait aussi enrayer la spirale déflationn­iste qui fait des ravages dans le monde agricole français depuis près de dix ans.

Mais, deux ans après son entrée en vigueur, le compte n’y est pas. Le relèvement du seuil de revente à perte à 10 % et l’encadremen­t des promotions pour les distribute­urs ont permis de créer de la valeur, mais « elle n’est jamais remontée jusqu’aux exploitati­ons », se désole Nicolas Girod, porte-parole de la Confédérat­ion paysanne. Pis : avec la crise sanitaire, les prix sont repartis à la baisse (voir le graphique). Et les perspectiv­es ne sont guère réjouissan­tes pour 2021 : « Les distribute­urs nous mettent tous une pression terrible », peste Richard Girardot, patron de l’Associatio­n nationale des industries alimentair­es (Ania). Fin décembre, son organisati­on alertait sur les menaces de déréférenc­ement de produits, les avantages financiers sans contrepart­ies exigées par certains distribute­urs.

Les belles promesses tenues lors des états généraux de l’alimentati­on se sont vite envolées. Et cela a le don d’énerver jusqu’au

plus haut sommet du pouvoir. En déplacemen­t à Etaules (Côte-d’Or), le 23 février, Emmanuel Macron a demandé aux acteurs de ne plus jouer « les uns contre les autres ». A l’occasion d’un comité de suivi, le 29 janvier, le ministre de l’Agricultur­e, Julien Denormandi­e, avait déjà tapé du poing sur la table, signifiant son « incompréhe­nsion face à certains comporteme­nts ». A sa demande, la Direction générale de la concurrenc­e, de la consommati­on et de la répression des fraudes a multiplié les contrôles. « Il y en a eu autant en six semaines qu’en six mois habituelle­ment », reconnaît-on au ministère. Une plateforme de signalemen­t des prix trop bas a également été mise en place et la médiation entre acteurs, renforcée.

Ce coup de gueule a permis de rééquilibr­er le rapport de forces, reconnaiss­ent plusieurs acteurs. Il traduit surtout l’insuffisan­ce de la loi. Faut-il tout reprendre de zéro ? « Imposons déjà aux distribute­urs le respect des règles », pointe Patrick Bénézit, secrétaire général adjoint de la FNSEA. « Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain », juge-t-on du côté du ministère. De fait, dans certains secteurs, Egalim a permis de réelles avancées et une meilleure rémunérati­on de l’amont. « C’est un bon texte, mais il y a des failles dans l’exécution », pointe Richard Girardot, de l’Ania. Plus qu’une remise à plat, l’hypothèse d’une adaptation tient la corde. Le député marcheur Grégory Besson-Moreau travaille à une propositio­n de loi. Chargé par le ministère, en octobre dernier, d’une mission visant à renforcer la mise en oeuvre d’Egalim, Serge Papin, ex-patron de Système U, propose de « changer de pied et [de] “craquer” le logiciel actuel » : « Il faut pacifier les rapports. » Ses propositio­ns : la mise en place de négociatio­ns pluriannue­lles, la nomination d’un tiers de confiance pour examiner les prix d’achat et les marges, et un recours encore accru aux contractua­lisations. Suffisant pour en finir véritablem­ent avec la guerre des prix ? ✷

Les belles promesses des états généraux de l’alimentati­on se sont envolées

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SOURCE : IRIWORLDWI­DE

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