Russie Ukraine : Vladimir Poutine veut-il la guerre ?
Moscou continue de masser ses troupes le long de la frontière entre les deux pays. La moindre étincelle pourrait mettre le feu aux poudres.
En train ou en camion, ils ont quitté le Caucase et la Sibérie pour rejoindre la Crimée et la région de Voronej, frontalière de l’Ukraine. Difficile de connaître leur nombre exact, mais on parle d’au moins 4 000 hommes. Du jamais-vu depuis le début de la guerre du Donbass, en 2014, et la création des républiques autoproclamées de Louhansk et de Donetsk, soutenues par Moscou. De part et d’autre de la ligne de démarcation, on s’agite. Le 3 avril, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a relevé plus de 1 000 escarmouches entre les troupes ukrainiennes et les sécessionnistes. Quelques jours plus tôt, le 26 mars, quatre soldats ukrainiens avaient été tués dans des combats – les plus meurtriers depuis le début de l’année.
La tension ne cesse de monter entre Kiev et Moscou. Et, bien que le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déclaré, le 1er avril, que ces « simples manoeuvres » ne visaient qu’à « assurer la sécurité de Moscou », l’affaire est jugée suffisamment sérieuse en Occident pour provoquer, ce même jour, une réunion d’urgence à l’Otan. Quant au secrétaire à la Défense américain, il a assuré son homologue ukrainien du « soutien indéfectible » des Etats-Unis.
A quoi joue Vladimir Poutine? A l’Ouest, la question divise les chancelleries autant que les états-majors. L’hypothèse la plus probable est une tentative du président russe de faire pression sur les Occidentaux, alors que les négociations sur le conflit du Donbass, qui a causé la mort de 14 000 personnes depuis 2014, sont bloquées. « Ce n’est pas la première fois qu’il se comporte ainsi, décrypte le politologue ukrainien Volodymyr Fesenko. Qu’il accentue la pression militaire traduit son exaspération face à l’intransigeance ukrainienne dans le processus de paix. Poutine veut régler ce conflit à ses seules conditions, c’est-à-dire obtenir l’autonomie des provinces séparatistes de Louhansk et de Donetsk. Ces mouvements de troupes sont aussi le moyen de tester la réaction de l’Ouest en cas d’escalade du conflit. » Notamment celle de la nouvelle administration américaine, qui va envoyer deux navires de guerre en mer Noire. « Dans tous les cas, conclut l’expert, la situation est très sérieuse. »
Une offensive russe n’est pas à exclure. La menace la plus forte pèse sur le sud de l’Ukraine, dans la bande côtière comprise entre la péninsule de Crimée et la frontière russe. Vladimir Poutine pourrait être tenté de « faire la jonction » entre ces deux territoires, en mettant au passage la main sur le port stratégique de Marioupol. Dans son entourage, certains se plaisent à évoquer ce scénario. « Les habitants du Donbass veulent faire partie de notre grande et généreuse patrie. Nous sommes obligés de leur fournir cela. Mère Russie, ramenez le Donbass à la maison », a ainsi déclaré, le 28 janvier, la patronne de la chaîne de télévision RT, Margarita Simonian. Plus récemment, le président a passé le weekend du 20 mars dans la taïga sibérienne avec son ministre de la Défense, Sergueï Choïgu. « Ils ne se sont pas vus pour boire de la bière et se promener en forêt », ironise James Sherr, chercheur au Centre international de défense et de sécurité, en Estonie. Plutôt qu’un assaut de grande ampleur, ce dernier imagine plutôt un déploiement de pseudo-soldats de la paix le long de la ligne
de démarcation, dans les territoires occupés par les séparatistes. « Pour les Russes, cette option aurait le mérite de préserver les arrangements territoriaux existants et de laisser planer la menace d’une intervention ciblée appuyée par des drones, qui briserait les défenses ukrainiennes et mettrait la Russie en position de force pour négocier. » Mais l’ancien président ukrainien Petro Porochenko a un avis différent sur la question : « Regardez comme l’attention du monde est concentrée sur la vaccination plutôt que sur la menace russe, dit-il à L’Express. Et voyez aussi comment la diplomatie du vaccin modifie l’opinion internationale envers Moscou ! Poutine n’a pas choisi ce moment par hasard… » Selon l’ancien chef d’Etat, qui a combattu l’armée russe durant son mandat, le maître du Kremlin « veut obliger le gouvernement ukrainien à dialoguer avec les dirigeants sécessionnistes du Donbass, qui sont ses marionnettes. Ainsi, la Russie ne serait plus perçue comme partie prenante du conflit, mais comme un médiateur et un facilitateur ». Et d’ajouter : « Nos partenaires internationaux ne doivent pas tomber dans ce piège ! »
A Moscou, la lecture de la situation est tout autre. « La popularité du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a beaucoup baissé ces derniers mois, remarque Andreï Kortounov, directeur général du Conseil russe pour les affaires internationales. Certaines de ses décisions récentes, comme la fermeture de trois chaînes de télé russophones, montrent qu’il a radicalisé sa position vis-à-vis de Moscou pour donner des gages aux nationalistes ukrainiens. » En s’attaquant, en février, à Viktor Medvedchouk, chef du principal parti prorusse à Kiev et ami personnel de Vladimir Poutine, Zelensky a montré son intransigeance à l’égard de Moscou.
Mais attention de ne pas aller trop loin. Son appel, le 6 avril, à accélérer l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan a certainement plu à son électorat. Mais il a aussi donné toute légitimité à son adversaire russe pour se mobiliser. « Kiev ne fera qu’exacerber la crise ukrainienne par sa décision d’adhérer à l’Otan », a rétorqué Dmitri Peskov. En réalité, personne, à Kiev comme à Moscou, n’a vraiment intérêt à déclencher une guerre, mais la moindre erreur pourrait mettre le feu aux poudres. « Poutine n’a pas envie d’annexer le Donbass, estime Andreï Kortounov. Il préfère que la situation reste en l’état. Mais, si les Ukrainiens cherchent à reconquérir par la force les provinces séparatistes, il interviendra, car il ne laissera pas tomber les centaines de milliers d’habitants qui, dans ces régions, ont acquis la citoyenneté russe. »
Situation à haut risque, donc. En attendant une reprise des négociations avec la France et l’Allemagne au sein du « format Normandie » ? Une réunion pourrait avoir lieu dans les prochains jours, sans grand espoir. Depuis la création de ce groupe de négociation, en 2014, le cessez-le-feu entre l’armée ukrainienne et les forces séparatistes a été rompu à 29 reprises…