Macron, dessine-moi une majorité
L’élection de 2022 est dans toutes les têtes, mais avec quelles forces le président sera-t-il capable de gouverner encore?
La construction d’une semi-cohabitation en échange d’un soutien de Nicolas Sarkozy?
Juin 2022, soir du second tour des législatives, marqué par une abstention record : après sa victoire étriquée face à Marine Le Pen, les Français découvrent qu’Emmanuel Macron ne dispose pas de majorité à l’Assemblée… Ce scénario noir – parfois évoqué çà et là par une Macronie convaincue de la réélection de son champion – paraît peu vraisemblable, compte tenu de la dynamique engendrée par l’inversion du calendrier électoral. Cependant, après cinq ans d’exercice difficile du pouvoir, non seulement la majorité LREM ne sera pas absolue, prophétise un ministre, mais elle sera sans doute plus restreinte que celle d’aujourd’hui, prédit un autre. Cette fois-ci, beaucoup ne gagneront pas simplement grâce au profil d’Emmanuel Macron sur leurs affiches… Puisque la vie politique ne se restructure en profondeur qu’à l’occasion des législatives, et que le président de la République est résolu à faire encore bouger les lignes, la question se pose donc : avec quelles forces pourra-t-il gouverner cinq ans de plus ?
Dans l’actuelle majorité, l’après se prépare. Mais à bas bruit. « Disons que c’est un travail discret, nécessairement très discret qui se fait en ce moment », plaisante un haut dirigeant marcheur. Un travail d’audit, d’état des lieux des troupes, mais aussi d’analyse des futurs rapports de forces dans les circonscriptions a déjà commencé. « Il y a ceux qui veulent arrêter, et il faudra s’occuper de ceux qui veulent repartir et à qui on devra dire qu’il vaut mieux se lancer dans la plomberie », grince un cadre du groupe LREM à l’Assemblée. Discrétion ne signifie pas oisiveté : au moins trois niveaux de la Macronie s’activent à préparer le mercato 2022 au Palais-Bourbon. En bas de l’échelle, le président du groupe, Christophe Castaner, prend le pouls quotidien des 269 députés sous son autorité. Il se dit même qu’il arrive à l’ancien ministre de l’Intérieur de passer quelques coups de fil aux préfets départementaux, ici et là, histoire de savoir si ses ouailles font du bon boulot dans leur « circo »… A l’étage du dessus, Richard Ferrand s’affaire aussi. Le président de l’Assemblée nationale a été mandaté pour piloter et compléter la cartographie : l’un de ses conseillers appelle, un par un, les députés du groupe pour évaluer leurs attentes et aspirations. Enfin, dernier échelon mais non des moindres : tout en haut, le pôle parlementaire de l’Elysée, animé par le conseiller politique du président Maxance Barré, réfléchit également, en soutien avisé, à la situation.
Autant s’y prendre tôt : la Macronie, qu’il s’agisse des élections municipales ou des régionales, a par le passé davantage brillé par sa procrastination que par son sens de la prospective. Mais ce travail de préparation ne peut être qu’incomplet, puisque les investitures aux prochaines législatives dépendront directement non seulement des résultats de la présidentielle mais aussi, et surtout, de l’étendue du spectre politique qui aura rallié Emmanuel Macron au cours de la campagne. « La réalité, c’est que rien ne sera décidé avant au moins l’entre-deux-tours. Ça va être très frustrant pour beaucoup », assure un pilier de la majorité.
C’est qu’il faudra peut-être faire de la place à d’autres. La fameuse « poutre », selon l’expression d’Edouard Philippe, ne travaille plus depuis belle lurette. La majorité s’est, après les européennes de 2019, davantage amincie qu’étoffée. Alors, on compte beaucoup sur le prochain scrutin présidentiel pour faire avancer d’un nouveau cran l’élargissement. En deux mots : opérer d’autres débauchages – et, si possible, des investissements gagnants – à gauche comme à droite. « La présidentielle est le moment qui doit le plus permettre de faire tomber les postures, explique Stanislas Guérini, délégué général de LREM. Celle de 2017 a été une explosion atomique de la vie politique française, et le travail n’est pas fini. » Un proche d’Emmanuel Macron abonde : « Un certain nombre de Républicains refuseront d’être absents du second tour de la présidentielle deux fois de suite, et ne soutiendront pas une candidature de témoignage. Si, dans les sondages, Xavier Bertrand ou François Baroin sont entre 16 et 20 %, ils résisteront un peu. Mais si c’est un Retailleau entre 9 et 13 %, ils viendront nous manger dans la main. »
Deux scénarios se font alors concurrence. Le premier, préféré par les stratèges du président, c’est l’achat « appartement par appartement » : des transferts au cas par cas de parlementaires Les Républicains (LR) qui viendraient se fondre dans l’ensemble de la majorité, façon 2017. La seconde hypothèse a jailli du cerveau d’un autre stratège : Nicolas Sarkozy. Dans son bureau, rue de Miromesnil, l’ancien chef de l’Etat a fait part à quelques visiteurs de son point de vue quant à l’attitude à adopter visà-vis de l’actuel président, qu’il estime en position de faiblesse. Il rêve à l’acquisition par Emmanuel Macron de tout un pan de la maison LR, qui viendrait s’arrimer à la majorité dans un contrat de gouvernement, et dont le Premier ministre serait issu. En
résumé, la construction d’une semi-cohabitation en échange de son soutien à la présidentielle. « La stratégie de Sarko, elle fait ch… le président, souffle un proche de ce dernier. Il lui dit : “J’arrive, je vais t’aider, mais tu me devras tout”… Comment voulez-vous qu’Emmanuel ne se méfie pas ? S’il y a bien une chose à comprendre sur lui, c’est qu’il ne veut se faire enfermer ni contraindre par personne. Jamais. »
Hélas, le quinquennat qui vient peut se révéler bien plus difficile à gérer que celui qui se conclut. Comme le prévoit un membre du gouvernement, « dès le lendemain de la victoire de Macron, la course de petits chevaux commencera pour 2027 ». Qui peut dire alors si les alliés du président – le MoDem, Agir ensemble, ou de nouvelles pièces rapportées de la droite – ne seront pas plus exigeants, voire plus déloyaux qu’ils ne l’ont été jusqu’à présent ? « Même à l’intérieur de LREM, vous allez avoir une aile qui va soutenir un candidat plus à gauche, une autre, Edouard Philippe, etc. », anticipe le même ministre. Il suffit d’écouter le président du groupe Agir ensemble à l’Assemblée, Olivier Becht : « J’attends que notre sensibilité soit reconnue, écoutée et considérée. Avons-nous l’ambition de peser sur les décisions ? Oui. » Si d’autres composantes de la future majorité – aux capacités de nuisance autrement plus grandes que celles d’Agir – se lancent dans ce genre de revendications, cinq années, ça peut devenir vraiment longuet.
Comment éviter un tel délitement ? En cassant les murs, en supprimant les partis, les noms, les logos, et en créant un grand parti démocrate à la française. L’idée, pour le moins ambitieuse, fait son chemin dans le premier cercle élyséen. « A un moment, il faudra une recomposition institutionnelle de notre majorité politique, appuie un autre intime du président. Entre les deux tours, on liquide La République en marche, on façonne quelque chose comme “La France unie” avec une myriade d’acteurs à l’intérieur. C’est ce qu’a réalisé Chirac avec l’UMP. » Problème : même s’il répète souvent en privé qu’il est plus favorable à un rassemblement qu’à une coalition, allez dire à François Bayrou qu’il devra désormais diluer son parti dans plus grand que lui… « Le MoDem a une identité politique ! Le MoDem est une marque, la où LREM n’a jamais réussi à se constituer comme telle ! » peste l’un de ses dirigeants. L’un de ses homologues, à La République en marche, croit également peu à ce schéma : « Que constatez-vous en ce moment ? Un agrandissement ou un morcellement ? Les grands ensembles ne sont pas attractifs, et on a bien vu à l’Assemblée qu’être 300 dans un groupe est difficile. »
Paradoxalement, les troupes LREM au Palais-Bourbon se sont amaigries, et la question de l’organisation de la majorité sur les bancs de l’Assemblée commence déjà à se poser. Un enjeu auquel réfléchit – et ce, depuis longtemps – Stéphane Séjourné, conseiller politique à l’Elysée et chef de file des députés LREM au Parlement européen. Le tacticien plaide pour une coalition de plusieurs groupes plus petits, reliés par un contrat de majorité. « Un ensemble pléthorique, comme celui que nous avons actuellement, crée des frustrations partout, analyse un cadre du groupe actuel. Il donne à certains le sentiment de ne pas pouvoir défendre leur sensibilité… Franchement, que va-t-on retenir de nous ? Qu’on a renforcé le MoDem et Agir, qui n’étaient que dalle au départ. »
Coalition, fédération, dilution… A un an de l’élection présidentielle, les cerveaux chauffent. Le débat interne est loin d’être clos – et pour cause ! il ne le sera pas avant qu’Emmanuel Macron ne le tranche, comme souvent, seul. De l’avis de tous, il s’en assurera, quelles que soient la couleur et la forme de la prochaine majorité. Il n’y aura de toute façon qu’un seul maître à bord, et celui-ci est et sera à l’Elysée. W