Credit suisse, la nouvelle bad bank européenne
Prise dans une nouvelle série de scandales financiers, la banque de Zurich semble aujourd’hui au pied du mur. Pourra-t-elle se relever ?
Thomas Gottstein passe habituellement ses weekends sur les greens des terrains de golf. Un sport qu’il adore et qui lui permet de se déconnecter, au moins pendant quelques heures. Mais depuis trois semaines, le patron de Credit suisse n’a pas fait le moindre putt. Ces derniers temps, le quinquagénaire ne quitte plus le siège de la banque zurichoise, entouré de quelques fidèles et spécialistes de la communication, avec un objectif simple : éviter l’implosion de la banque qu’il dirige depuis un an, suite au départ fracassant de son prédécesseur, Tidjane Thiam.
Credit suisse, la deuxième plus grande banque helvète avec 1 200 milliards de dollars d’actifs, est en effet en crise. On devrait même dire « encore » en crise. Alors que le départ du dirigeant franco-ivoirien – cinq ans après son arrivée à Zurich – était censé donner un nouvel élan au groupe, tout semble reparti de travers. Toujours à cause des mêmes maux, des scandales financiers en pagaille. Ces derniers mois, la liste est impressionnante : outre la faillite de la fintech allemande Wirecard, Credit suisse est également impliquée dans la débâcle de la société d’affacturage Greensill, au Royaume-Uni… Deux affaires qui devraient coûter, à la banque et à ses clients, plusieurs milliards de dollars.
Les choses ont encore pris une autre ampleur il y a quelques jours avec la faillite d’Archegos, un obscur fonds spéculatif américain. « La goutte de trop », euphémise un ancien de la banque. Dans cette affaire, Credit suisse, qui était le prêteur
« Ils sont très agressifs, prêts à beaucoup de choses pour gagner des contrats, des clients »
principal du fonds new-yorkais, a perdu gros : réputation et argent. L’addition est particulièrement salée pour l’institution, puisqu’elle a perdu 4,7 milliards de dollars. Une somme astronomique qui l’a fait plonger illico dans le rouge vif après une année 2020 déjà en demi-teinte. Résultat, alors que la plupart de leurs concurrents espèrent bien laisser la crise derrière eux en 2021, Thomas Gottstein et ses équipes tablent sur des pertes de plus de 1 milliard de dollars au premier trimestre.
La banque suisse, déjà en petite forme, a vu son cours chuter de plus de 20 %, à des niveaux historiquement bas, avec des actionnaires exaspérés cherchant tout simplement à comprendre : que se passet-il dans « leur » banque ? Comment expliquer qu’elle soit devenue la nouvelle bad bank européenne ?
Interrogé par L’Express, l’établissement zurichois, qui a ouvert plusieurs enquêtes et un audit interne, reste très discret. « Nous ne faisons aucun commentaire », a indiqué une porte-parole de la banque. En attendant, Thomas Gottstein, jugeant la situation « inacceptable », a commencé à faire le ménage. Exit, le patron de la banque d’investissement, Brian Chin, et surtout la directrice des risques et de la conformité, Lara Warner. « Ils ne pouvaient pas rester, c’était intenable », révèle un bon connaisseur du secteur. D’abord parce que, à cause de ces pertes, les dividendes et les bonus ont été coupés. Et puis parce que les premiers éléments sont accablants pour certains dirigeants, et notamment pour Lara Warner. C’est elle qui avait, par exemple, validé en octobre 2020 – contre l’avis d’une partie de ses équipes – un prêt de 160 millions de dollars à Greensill, alors que la société britannique était déjà en très grande difficulté.
Ces mesures suffiront-elles à ramener le calme au sein de l’institution ? Rien n’est moins sûr. « Il ne suffit pas de se séparer de quelques dirigeants pour que tout revienne dans l’ordre », souffle un banquier. Rien ou presque n’a changé depuis le départ, il y a douze mois, de Tidjane Thiam. « C’est même pire », ose un autre. Interrogé, l’ancien dirigeant, qui a monté un Spac avec le soutien du milliardaire français François Pinault, n’a pas souhaité faire de commentaires.
Le mal semble en effet plus profond. « Il est structurel », indique un ancien du groupe. Des propos qui font écho à ce que disent tous les observateurs : Credit suisse prend des risques, trop de risques, sans avoir forcément les moyens de les gérer, comme un pilote qui voudrait pousser une voiture de course qu’il ne contrôle pas totalement. « Ils sont très agressifs, et prêts à beaucoup de choses pour gagner des contrats, des clients », précise un
investisseur, qui pointe les conséquences de la crise de 2008 et la baisse des marges des banques d’investissement. « On est obligés d’aller vers des montages et des produits plus sophistiqués », souligne une autre source.
Le problème, c’est que tout le monde ne s’appelle pas Morgan Stanley ou Goldman Sachs, les deux banques américaines considérées comme les « références ». « Elles aussi prennent beaucoup de risques, mais elles ont les équipes pour », explique le banquier d’un établissement concurrent. Les Américains ont également une organisation disciplinée et structurée, ce qui ne semble plus être le cas pour Credit suisse, où certains banquiers ont pris la mauvaise habitude, comme dans l’affaire Archegos, de traiter directement avec des clients pas forcément très fiables.
De l’avis de beaucoup, il faudrait vraiment tout remettre à plat, mais la banque le peut-elle encore ? C’est le but de Thomas Gottstein, premier Suisse depuis 2002 à diriger le groupe : il n’a pas abandonné l’idée de réussir ce que l’Allemand Christian Sewing a accompli avec Deutsche Bank, l’ex-mauvaise élève de la finance, qui a accumulé les casseroles pendant des années avant de faire un gigantesque ménage et d’accepter de perdre de son influence. Mais le défi s’annonce immense. Est-il même réalisable ? Acculé, Credit suisse serait sur le point de vendre sa branche de gestion d’actifs, qui lui permettrait de récupérer quelques milliards… Plusieurs candidats sont intéressés, parmi lesquels le géant mondial de la gestion d’actifs, BlackRock. Certains pensent toutefois que cette nouvelle crise est peut-être celle de trop, et que le groupe, devenu une proie, devrait envisager de fusionner avec un autre établissement. Reste à savoir lequel. Comme sur les greens, Thomas Gottstein sait qu’il va devoir la jouer serrée.