Marius de Zayas, le visionnaire méconnu
Ce caricaturiste et galeriste a hautement contribué à l’introduction de l’art moderne outre-Atlantique. Deux ouvrages réunis dans un coffret scannent sa vie et son rôle inestimable de passeur.
La finesse de son trait et la causticité, parfois féroce, de ses dessins lui ont valu l’admiration de ses pairs. Mais c’est sous la casquette de galeriste qu’il reste un acteur essentiel de l’art de son temps. Marius de Zayas (1880-1961) est né à Veracruz, au Mexique. Il séjourne pour la première fois en France à l’âge de 9 ans, avec son père, émissaire de son pays à l’Exposition universelle de 1889. Son fabuleux coup de crayon lui ouvre, à 26 ans, les portes du quotidien Diario de México. Quelques mois plus tard, la famille quitte ses terres mexicaines pour rejoindre New York.
Pour gagner sa vie, Marius publie nombre de caricatures politiques ou sociales dans les colonnes du Evening World. En privé, il produit des dessins plus intimes, traduisant ses états d’âme, ses idées et ses spéculations du moment. Le voilà remarqué par Alfred Stieglitz, fondateur de la revue Camera Work et aux manettes de la galerie 291, sur la 5e Avenue, qui visite l’artiste dans son atelier et découvre ses oeuvres secrètes. Zayas, taiseux et observateur, devient l’associé du photographe, disert et didactique. Les deux hommes nourrissent une passion pour la promotion de l’art moderne dans ce qu’il a de plus révolutionnaire et partagent une même « répulsion pour l’académisme et les lieux communs ».
L’année suivante, Zayas est, à Paris, un précieux relais pour le 291 grâce à sa maîtrise de la langue française et au réseau qu’il se constitue parmi l’intelligentsia artistique de la capitale. Il se lie avec les représentants de l’avant-garde : Apollinaire, qui juge ses caricatures d’une « puissance inimaginable » et en publie plusieurs dans Les Soirées de Paris, mais aussi Max Jacob, Francis Picabia, ou le marchand Paul Guillaume, alors importateur « d’art nègre » – Zayas diffuse ses pièces dans la Grosse Pomme, après y avoir organisé la première exposition de Picasso, au printemps 1911. Promouvoir le futur géant espagnol outre-Atlantique et, trois ans plus tard, « l’art africain en tant qu’art et non plus qu’en tant qu’objet ethnographique ou anthropologique » compte parmi ses faits d’armes majeurs.
Le fils de Marius, Rodrigo, musicien, historien et bibliophile polyglotte, aujourd’hui âgé de 85 ans, vient de publier Marius de Zayas, ou les fins d’un commencement*. Il entame son ouvrage – le premier consacré à la vie et à l’oeuvre de son père, riche de plusieurs centaines d’illustrations – par cette formidable aventure du 291. Dans le coffret, sorti aux éditions Atelier Baie, se trouve un deuxième livre, intitulé Quand, comment et pourquoi l’art moderne est allé de Paris à New York, signé de l’artiste en 1947. C’est la première édition en français de l’étude entreprise en 1940 par le caricaturiste galeriste à la demande d’Alfred H. Barr Jr., alors directeur du MoMA. Une longue lettre, aussi passionnante qu’étonnante, lui est adressée, sans velléité de publication : « C’est pour les archives de votre musée que j’écris ceci […] J’espère que cela satisfera votre curiosité. »
Au fil des années, Marius de Zayas métamorphose son trait – de réaliste, il devient géométrique – sous l’influence de ses amis cubistes. Et livre des tableaux saisissants, composés dans le château délabré de Rivoiranche, près de Grenoble, où il s’installe en 1929 avec sa compagne, Virginia Randolph Harrison. C’est ici que le couple décide, après la lecture de Cosmos d’Alexander von Humboldt, de consacrer sa vie à « l’étude et à la diffusion d’un savoir humaniste aussi universel que possible et par autant de moyens que possible ». Et c’est ce que fera Marius, lisant, voyageant, dessinant, peignant, photographiant, filmant.
Discret, épris de liberté et d’altérité, passeur autant qu’artiste génial, Zayas le méconnu trouve enfin une somme à sa mesure avec ce coffret bourré d’inédits. Fidèle à l’image de celui qui écrivait : « Je préfère la rigueur franche de l’hiver et la franchise rude de l’été aux caractères indécis et perfides du printemps et de l’automne. Je déteste les moyens termes. Voilà tout. »