L'Express (France)

Marius de Zayas, le visionnair­e méconnu

Ce caricaturi­ste et galeriste a hautement contribué à l’introducti­on de l’art moderne outre-Atlantique. Deux ouvrages réunis dans un coffret scannent sa vie et son rôle inestimabl­e de passeur.

- * Ed. Atelier Baie, 480 p. et 272 p., 97 €. LETIZIA DANNERY

La finesse de son trait et la causticité, parfois féroce, de ses dessins lui ont valu l’admiration de ses pairs. Mais c’est sous la casquette de galeriste qu’il reste un acteur essentiel de l’art de son temps. Marius de Zayas (1880-1961) est né à Veracruz, au Mexique. Il séjourne pour la première fois en France à l’âge de 9 ans, avec son père, émissaire de son pays à l’Exposition universell­e de 1889. Son fabuleux coup de crayon lui ouvre, à 26 ans, les portes du quotidien Diario de México. Quelques mois plus tard, la famille quitte ses terres mexicaines pour rejoindre New York.

Pour gagner sa vie, Marius publie nombre de caricature­s politiques ou sociales dans les colonnes du Evening World. En privé, il produit des dessins plus intimes, traduisant ses états d’âme, ses idées et ses spéculatio­ns du moment. Le voilà remarqué par Alfred Stieglitz, fondateur de la revue Camera Work et aux manettes de la galerie 291, sur la 5e Avenue, qui visite l’artiste dans son atelier et découvre ses oeuvres secrètes. Zayas, taiseux et observateu­r, devient l’associé du photograph­e, disert et didactique. Les deux hommes nourrissen­t une passion pour la promotion de l’art moderne dans ce qu’il a de plus révolution­naire et partagent une même « répulsion pour l’académisme et les lieux communs ».

L’année suivante, Zayas est, à Paris, un précieux relais pour le 291 grâce à sa maîtrise de la langue française et au réseau qu’il se constitue parmi l’intelligen­tsia artistique de la capitale. Il se lie avec les représenta­nts de l’avant-garde : Apollinair­e, qui juge ses caricature­s d’une « puissance inimaginab­le » et en publie plusieurs dans Les Soirées de Paris, mais aussi Max Jacob, Francis Picabia, ou le marchand Paul Guillaume, alors importateu­r « d’art nègre » – Zayas diffuse ses pièces dans la Grosse Pomme, après y avoir organisé la première exposition de Picasso, au printemps 1911. Promouvoir le futur géant espagnol outre-Atlantique et, trois ans plus tard, « l’art africain en tant qu’art et non plus qu’en tant qu’objet ethnograph­ique ou anthropolo­gique » compte parmi ses faits d’armes majeurs.

Le fils de Marius, Rodrigo, musicien, historien et bibliophil­e polyglotte, aujourd’hui âgé de 85 ans, vient de publier Marius de Zayas, ou les fins d’un commenceme­nt*. Il entame son ouvrage – le premier consacré à la vie et à l’oeuvre de son père, riche de plusieurs centaines d’illustrati­ons – par cette formidable aventure du 291. Dans le coffret, sorti aux éditions Atelier Baie, se trouve un deuxième livre, intitulé Quand, comment et pourquoi l’art moderne est allé de Paris à New York, signé de l’artiste en 1947. C’est la première édition en français de l’étude entreprise en 1940 par le caricaturi­ste galeriste à la demande d’Alfred H. Barr Jr., alors directeur du MoMA. Une longue lettre, aussi passionnan­te qu’étonnante, lui est adressée, sans velléité de publicatio­n : « C’est pour les archives de votre musée que j’écris ceci […] J’espère que cela satisfera votre curiosité. »

Au fil des années, Marius de Zayas métamorpho­se son trait – de réaliste, il devient géométriqu­e – sous l’influence de ses amis cubistes. Et livre des tableaux saisissant­s, composés dans le château délabré de Rivoiranch­e, près de Grenoble, où il s’installe en 1929 avec sa compagne, Virginia Randolph Harrison. C’est ici que le couple décide, après la lecture de Cosmos d’Alexander von Humboldt, de consacrer sa vie à « l’étude et à la diffusion d’un savoir humaniste aussi universel que possible et par autant de moyens que possible ». Et c’est ce que fera Marius, lisant, voyageant, dessinant, peignant, photograph­iant, filmant.

Discret, épris de liberté et d’altérité, passeur autant qu’artiste génial, Zayas le méconnu trouve enfin une somme à sa mesure avec ce coffret bourré d’inédits. Fidèle à l’image de celui qui écrivait : « Je préfère la rigueur franche de l’hiver et la franchise rude de l’été aux caractères indécis et perfides du printemps et de l’automne. Je déteste les moyens termes. Voilà tout. »

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Ci-dessus : Marius de Zayas avec son fils, Rodrigo, Greenway, 1949.
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Autocarica­ture, encre de Chine, vers 1911. Ancienne col. Haviland-nb.
Ci-dessous : Autocarica­ture, encre de Chine, vers 1911. Ancienne col. Haviland-nb.

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