La lutte anti-Covid n’est pas un pari, par le Pr Gilles Pialoux
Un relâchement des restrictions s’esquisse alors que la pandémie est encore très active. Une véritable prise de risque…
La réouverture des écoles, puis l’annonce par le président de la République d’un possible plan de déconfinement à la mi-mai, ont sonné douloureusement aux oreilles des soignants. Certes le taux d’incidence national diminue et il faut bien à un moment lever les contraintes. Mais, au lendemain des annonces ministérielles, dans les différentes cellules de crise Covid, nulle allusion au dit « plan ».
Le temps est à l’immédiateté de la pression et à l’incertitude des jours à venir, dans un contexte de saturation des services et de haut plateau des contaminations. Jamais, depuis le début de la pandémie, des mesures de relâchement n’avaient été prises ou annoncées à un tel degré de circulation du virus. Très peu de pays se le sont autorisé. Sur le terrain, les mots des cadres médicaux et infirmiers ont une tout autre tonalité que l’optimisme affiché par l’exécutif : « Les équipes sont sur les genoux » ; « Notre organisation ne tient que par les transferts » ; « Jusqu’à quand devrons-nous déprogrammer ? ».
En quoi les choix politiques actuels constituent-ils une prise de risque, un « pari » pour la France ? Réponse en six points.
L’amélioration constatée reste fragile.
Plusieurs modélisations, dont celles de Vittoria Colizza (Inserm), font état de la possibilité, parmi d’autres plus optimistes, du maintien de l’occupation des services de réanimation sur un plateau à un haut niveau, d’une lente décrue, puis d’une résurgence. A cela plusieurs raisons. L’anticipation des Français (plus de déplacements et de regroupements, moins de mesures barrière, moins de télétravail, moins de dépistages) dès l’annonce des prochaines réouvertures, comme cela a été le cas lors de la première et de la seconde vague. Le tracer-isoler abandonné du fait d’un nombre de contaminations trop important. La poussée de nouveaux variants davantage transmissibles, voire plus morbides. L’insuffisance de couverture vaccinale qui pénalise l’Europe…
La vaccination ne suffira pas, à elle seule, à nous sortir de la crise.
Sous la pression du variant anglais, il faudrait que 90 % de la population adulte soit immunisée pour imaginer relâcher certaines restrictions. Objectif impensable au pays du vaccino-scepticisme, d’autant que l’engouement vaccinal actuel, freiné par les critiques contre les vaccins adénovirus, pourrait bien, lui aussi, connaître un plateau.
Le gouvernement n’a pas encore saisi l’occasion de promouvoir une prévention combinée.
Le vaccin ne viendra pas remplacer le masque ni la distanciation physique de sitôt. Les autotests ne seront pas une parade pour les non-vaccinés. Le contrôle aux frontières ne cessera pas dès lors que la moitié de la population sera vaccinée. Le passeport sanitaire ne remplacera pas les gestes barrière. Alors que la crise s’annonce durable, il faudrait soutenir des approches combinées : vaccin + dépistage + tracer-isoler + mesures barrière + traitements + autotests + étude des eaux usées… Il devra en être ainsi, malheureusement, jusqu’à la maîtrise de la circulation virale.
L’école reste le point faible dans la gestion de la pandémie.
Là où l’Autriche, par exemple, impose l’école en alternance et 1 million d’autotests pour 9 millions d’habitants, la France prévoit de 300 000 à 600 000 de ces tests, qui plus est facultatifs. Les dernières semaines de mai seront cruciales pour évaluer l’impact de la réouverture des établissements avec le protocole actuel.
Des incertitudes autour du déploiement des autotests.
Le conseil scientifique (avis du 19 avril) y voit le moyen de sécuriser les personnes les plus fragiles face au virus et de sortir les asymptomatiques des chaînes de transmission. Mais beaucoup de questions restent ouvertes quant à l’appropriation de ces autotests en « vie réelle ». A commencer par le niveau d’approvisionnement, d’acceptabilité, ainsi que le tracing pour les cas positifs.
La menace sécuritaire n’est pas prise en compte.
Alors que les hôpitaux sont saturés, que se passerait-il dans l’hypothèse d’attaques similaires à celles de novembre 2015 ? Espérons que cette confrontation de menaces sanitaires et sécuritaires ne se rencontrera que dans le débat électoral.
Le Pr Gilles Pialoux est chef de service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Tenon, Paris (XXe). Il fait partie du collectif PandemIA, et il est membre du pôle santé de Terra Nova.