L'Express (France)

La dure vie des ministres candidats aux régionales

Une dizaine de membres du gouverneme­nt – pas les plus connus – tentent leur chance aux élections locales. Le résultat de longs mois de tractation­s et de tergiversa­tions.

- PAR ERWAN BRUCKERT ET JEAN-BAPTISTE DAOULAS

Certaines têtes – de liste – dépassent plus que d’autres. Le 27 avril, à l’espace Cléry (Paris), les Marcheurs d’Ile-deFrance présentent leurs chefs de file dans chaque départemen­t pour seconder le peu médiatique député Laurent Saint-Martin. Parmi eux, quatre femmes membres du gouverneme­nt, dont Marlène Schiappa. Ce jour-là, c’est autour de la ministre déléguée à la Citoyennet­é, et seulement d’elle, que se pressent les caméras. Après sa propositio­n de « quartiers sans relous », après avoir organisé les états généraux de la laïcité dans son coin, après avoir confessé qu’elle imaginait Cyril Hanouna diriger le débat de l’entre-deux tours de l’élection présidenti­elle, Schiappa est la vedette politique d’avril. « Notre sujet est d’intéresser les gens aux régionales. En mettant Marlène, on est sûrs d’attirer l’attention », analyse froidement et sans jalousie apparente l’une de ses collègues reléguées dans l’ombre. Le casting de la dizaine de ministres partis au front des élections régionales est un festival d’injonction­s contradict­oires : aligner des têtes d’affiche sans trop nationalis­er le scrutin ; faire campagne sans donner l’impression d’une démobilisa­tion face au Covid ; prendre le risque de s’exposer en sachant que les espoirs de conquête sont faibles. « On ne va gagner aucune région, il faut être lucide, mais au moins on aura des conseiller­s régionaux… » glisse un ministre proche d’Emmanuel Macron.

En septembre dernier, Agnès PannierRun­acher, et non Marlène Schiappa, était pressentie pour Paris. « J’ai vocation à conduire la liste départemen­tale, confiait la ministre déléguée chargée de l’Industrie, candidate aux élections municipale­s dans le XVIe arrondisse­ment, quartier dans lequel elle a grandi. Mais il faut définir

« Ça ne veut pas dire quelque chose sur la présidenti­elle mais, oui, c’est un test »

les règles du jeu ! Qui est tête de liste, qui ne l’est pas. Avec beaucoup de ministres ou non… Ça doit se régler dans les deux semaines, sinon, moi, je lâche l’affaire. » A l’époque, l’Elysée soufflait que les « arbitrages devraient arriver d’ici une dizaine de jours ». Puis deux nouvelles vagues du Covid sont passées par là. Tout comme les atermoieme­nts pour choisir les champions régionaux et départemen­taux. « Compte tenu du calendrier électoral et des enjeux du moment qui ne sont pas minces entre les vaccins, la mise en place du plan de relance, la restructur­ation d’entreprise­s, elle estimait qu’il était compliqué pour elle de cocher la case campagne électorale », indique-t-on désormais dans l’entourage d’Agnès Pannier-Runacher. Revoilà donc Marlène Schiappa, elle qui depuis de nombreux mois repoussait l’hypothèse d’une candidatur­e pour mieux se consacrer à son portefeuil­le. Ses priorités ont-elles subitement changé ? « C’est une question de calendrier, assure-t-on place Beauvau. Le report des régionales a tout bousculé en termes d’organisati­on, désormais elle n’est plus au banc pour le projet de loi séparatism­e. Elle a parlé de sa candidatur­e avec le président, et celle-ci s’est imposée. » Un haut dirigeant de La République en marche livre une analyse complément­aire : « En 2022, beaucoup de ministres ne rempileron­t pas et n’auront aucun mandat. S’ils veulent poursuivre la politique, ils devront se faire élire, alors certains se sont peut-être mis en tête d’être conseiller régional, voire député de Paris… »

Ne pas insulter l’avenir. Emmanuelle Wargon, dans le Val-de-Marne, est, comme Sophie Cluzel, dont le sort est en suspens dans la région Sud, une ministre estampillé­e société civile qui se frotte au suffrage universel pour la première fois. « On n’est pas éternellem­ent en apesanteur en politique, observe celle qui fut déjà tentée par une candidatur­e aux municipale­s l’an dernier. On doit se confronter à l’élection à un moment, ou on ne reste pas indéfinime­nt. » En Essonne, la carrière d’Amélie de Montchalin en politique n’a commencé qu’avec son mandat de députée en 2017. Avec les régionales, elle veut accéder au statut de patronne locale et montrer qu’elle est là pour durer. « Elle s’est fait élire dans un territoire et ne l’a pas lâché, vante l’un de ses proches. Comme Gérald Darmanin à Tourcoing ou Sébastien Lecornu dans l’Eure, elle consacre une part de son temps à l’Essonne. »

Quintessen­ce du ministre issu de la société civile, Jean-Michel Blanquer a encore une fois loupé le coche. Favori de la majorité pour défier Valérie Pécresse, soufflant le chaud et le froid durant des semaines, les yeux rivés sur les sondages et les enquêtes d’opinion qui ne le faisaient pas décoller, acceptant, à la demande d’Emmanuel Macron, d’être « chef de file » mais pas tête de liste, le ministre de l’Education a finalement renoncé à toute candidatur­e à la mi-janvier. Selon ses proches, l’apparition des variants du virus et les protestati­ons dans de nombreuses écoles ont fortement joué dans sa décision… Tout comme, sans doute, la volonté de ne pas suivre la même trajectoir­e que la malheureus­e Agnès Buzyn à Paris. Et ce refus d’obstacle engendre quelques regrets dans la majorité. « En ne se lançant pas aux régionales, Jean-Michel Blanquer a fait une erreur tactique, analyse l’un de ses collègues du gouverneme­nt qui, lui, est candidat. Quand vous voulez peser dans la vie politique, il faut avoir le courage d’aller au combat. »

Invoquer la crise du Covid est un argument à double tranchant. Certes, Jean Castex ne souhaitait pas voir partir en campagne ses ministres les plus en pointe face à la pandémie. Oubliées, donc, les ambitions normandes de la ministre du Travail Elisabeth Borne ou celles du porte-parole du gouverneme­nt Gabriel Attal dans les Hauts-de-Seine. Mais plus d’un se sont gaussés dans la majorité en lisant que l’entourage de Jean-Baptiste Djebbari invoquait ses responsabi­lités de ministre délégué aux Transports pour se défiler en Haute-Vienne. « Personne n’est dupe », s’esclaffe un conseiller politique, rappelant que Djebbari n’a pas obtenu la place de n° 1 qu’il guignait en Nouvelle-Aquitaine. Sans oublier que, à force de proclamer que l’on doit se consacrer à 100 % à la crise du Covid, on peut laisser croire, en miroir, que ce ne serait pas le cas des autres ministres candidats.

« Je suis H24 sur la santé au travail et sur le protocole de vaccinatio­n en entreprise, assure Laurent Pietraszew­ski, secrétaire d’Etat chargé des Retraites et de la Santé au travail. Les collègues ont du boulot. Mais je vous promets que j’en ai, moi aussi ! » Il concentre du vendredi au dimanche ses efforts de campagne dans les Hauts-deFrance. « J’ai beaucoup moins de temps pour ma vie de famille », regrette-t-il. « On dort moins », renchérit Nathalie Elimas, secrétaire d’Etat à l’Education prioritair­e. Elle attend la période de réserve, à la fin du mois de mai, pour lever le pied sur ses obligation­s ministérie­lles et se consacrer davantage à sa campagne dans le Val-d’Oise. « Si la situation le permet », précise-t-elle.

Amélie de Montchalin est la seule des 16 ministres de plein exercice à mener une liste. Les poids lourds sont restés bien au chaud. Avec une dizaine de membres du gouverneme­nt candidats, le patron de La République en marche, Stanislas Guerini, se déclaire satisfait. « C’est le bon équilibre. On ne se planque pas dans cette élection. » Assez pour ne pas nationalis­er ce scrutin régional, traditionn­ellement défavorabl­e à l’exécutif ? « On veut que ce soit vraiment des élections régionales, et pas le premier tour de l’élection présidenti­elle », insiste Guerini. Le nom d’Emmanuel Macron ne devrait pas être mis en avant sur les tracts de campagne des candidats de la majorité présidenti­elle. « C’est vraiment un scrutin intermédia­ire entre du national et du local. Ça ne veut pas dire quelque chose sur la présidenti­elle mais, oui, c’est un test », avoue pourtant une ministre candidate. Les 20 et 27 juin au soir, la lecture des résultats sera nationale. Et aussitôt refleuriro­nt les rumeurs de remaniemen­t ministérie­l. Dans le doute, autant réussir le test.

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