L'Express (France)

Il y a Verts et Verts, par Marion Van Renterghem

Annalena Baerbock, possible future chancelièr­e allemande, a peu de points communs avec les écologiste­s français.

- Marion Van Renterghem Marion Van Renterghem, grand reporter, lauréate du prix Albert-Londres, auteure d’une biographie d’Angela Merkel et d’un essai autobiogra­phique sur l’Europe.

Au Bundestag où j’étais en visite il y a quelques jours, à Berlin, une députée Verte qui venait d’être interviewé­e par de jeunes journalist­es français me racontait son étonnement devant les questions étranges qui lui étaient posées : « Ils étaient surpris d’apprendre que nous étions un parti résolument proeuropée­n, favorable au libre-échange et aux entreprise­s... On aurait dit qu’ils étaient plus vieux que moi et qu’ils en étaient restés aux années 1980 ! » Franziska Brantner, 41 ans, brillante élue de Heidelberg au Parlement allemand et possible ministre du gouverneme­nt qui succédera à celui d’Angela Merkel, attentive aux enjeux de sa circonscri­ption comme à la marche du monde et aux affaires internatio­nales, est une incarnatio­n de ce qui, vu de France, peut apparaître comme un très étrange animal : « un Vert allemand ». Une personne capable de défendre un programme écologique responsabl­e, prenant en compte la complexité des réalités économique­s et sociales, ayant déjà participé plusieurs fois à des gouverneme­nts régionaux et fédéraux, et sur le point de gagner, peutêtre, la chanceller­ie fédérale. Difficile, de notre côté du Rhin, de concevoir un tel animal quand son homologue français, Europe Ecologie-Les Verts (EELV), se réclame de la même couleur tout en ayant si peu de points communs en partage ; quand ses représenta­nts parmi les plus haut placés appellent à « renverser le capitalism­e » (dixit la secrétaire nationale adjointe d’EELV), jettent l’opprobre sur le Tour de France, jugé « polluant » (maire EELV de Lyon), décident arbitraire­ment que « l’aérien ne doit plus faire partie des rêves d’enfants » (maire EELV de Poitiers), ou, cerise sur le gâteau, désignent à la vindicte les individus supposés penser mal et mal voter. Au moment où le secrétaire national du parti, Julien Bayou, lançait une hallucinan­te campagne électorale stigmatisa­nt les « boomers » comme trop vieux pour être honnêtes, un Vert allemand de 72 ans, Winfried Kretschman­n, était élu pour la troisième fois à la tête du puissant Bade-Wurtemberg.

Principe de réalité

Cela fait longtemps que les Verts allemands, eux, considèren­t l’écologie, la politique, l’économie et l’intégratio­n européenne comme une affaire sérieuse. Ils ont rompu depuis belle lurette avec le sectarisme et le parti antisystèm­e fondé dans les années 1980 à partir d’une nébuleuse de mouvements pacifistes, antinucléa­ires et marxistes, dont le programme précisait que « le développem­ent industriel et la société de consommati­on condamnent l’homme à un dépérissem­ent intellectu­el et moral ». Si leur formation reste divisée entre les « Realos » et les « Fundis », les seconds préférant la radicalité des idées à la possibilit­é de gouverner, les Realos l’ont emporté en convainqua­nt leurs électeurs, conduisant le parti à imposer ses vues. Ils ont participé sept ans au gouverneme­nt fédéral aux côtés du chancelier social-démocrate (SPD) Gerhard Schröder, sont devenus la deuxième force politique du pays devant le SPD, participen­t à 11 gouverneme­nts régionaux sur 16 dans des coalitions avec la droite comme avec la gauche, des conservate­urs de la CDU au SPD en passant par les radicaux de Die Linke ou les libéraux du FDP. Les deux Realos élus à la tête du parti depuis 2018, Annalena Baerbock et Robert Habeck, soutiennen­t une politique proeuropée­nne de centre gauche, concentrée sur le tournant énergétiqu­e dans l’économie de marché, soucieuse de se rapprocher du monde de l’entreprise pour articuler défense de l’environnem­ent et investisse­ment industriel, mesures sociales et développem­ent économique.

Effacement des ego

Pour la première fois de sa vie fédérale, l’Allemagne pourrait élire une chancelièr­e Verte. La manière dont le duo dirigeant du parti s’est entendu pour désigner, sans vote, qui des deux serait le meilleur candidat, fut un modèle d’élégance, de responsabi­lité civique et d’effacement des ego. Devancés par la CDU, les Verts allemands n’en sont pas encore à la victoire mais Annalena Baerbock a toutes les chances, soit de prendre la tête d’une coalition, soit d’occuper un ministère clef avec le rang de vice-chancelièr­e. Cette ex-championne de trampoline passée par la London School of Economics a de quoi séduire les nostalgiqu­es d’Angela Merkel, qui se retire au faîte de sa popularité : très politique comme elle, sérieuse, discrète, pragmatiqu­e et centriste comme elle, et connaissan­t, elle aussi, ses dossiers sur le bout des ongles. Si elle était élue, les écolos français seraient malvenus de la montrer en exemple ou de s’approprier son succès. Hormis quelques exceptions, ils ne sont pas de la même famille politique. D’un Vert à l’autre, il y a un monde.

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