L'Express (France)

Royaume-Uni Et si l’Ecosse prenait son envol...

Le camp indépendan­tiste est bien placé à l’approche des élections législativ­es du 6 mai. L’Express a tenté d’imaginer les premiers pas d’un « Etat écossais » à part entière.

- AGNÈS C. POIRIER (LONDRES)

Les images de Nicola Sturgeon, habillée d’une robe tailleur de tartan rouge, devant la pierre du destin, au château d’Edimbourg, ont fait le tour du monde. C’est peu après minuit, le 24 septembre 2022, dans ce cadre médiéval et majestueux, que la Première ministre écossaise a annoncé les résultats du second référendum sur l’indépendan­ce du pays. Huit ans après le premier, les Ecossais ont prononcé un Yes sans ambiguïté en faveur de l’émancipati­on du giron britanniqu­e, par 55 % contre 45 %. Ce faisant, ils ont mis fin à l’Union qui les liait à l’Angleterre depuis 1707. Le Royaume-Uni n’est plus. L’Histoire retiendra que c’est le président Emmanuel Macron, réélu il y a quelques mois, qui fut le premier chef d’Etat étranger à féliciter Nicola Sturgeon, au nom de l’Auld Alliance – la fameuse Vieille Alliance entre les deux pays, datant de 1295.

Selon Stephen Gethins, ancien député indépendan­tiste écossais, aujourd’hui professeur de relations internatio­nales à l’université de St Andrews et auteur de

Nation to Nation, Scotland’s Place in the World, ce scénario-fiction n’a rien d’absurde. Il pourrait même commencer à prendre forme dès les élections législativ­es du 6 mai. Un plébiscite pour les indépendan­tistes au pouvoir du SNP (Scottish Nationalis­t Party) et sa cheffe de file Nicola Sturgeon ouvrirait la voie à la mise en place d’une nouvelle consultati­on sur l’avenir de la nation – même si le Premier ministre britanniqu­e Boris Johnson ne veut pas en entendre parler. Or, depuis plus de douze mois, les sondages donnent le SNP victorieux.

Le projet a conquis les coeurs car il est l’exact opposé du Brexit

Si, dans un futur plus ou moins lointain, l’Ecosse prend son envol, « les premières heures seront cruciales », estime Stephen Gethins, qui imagine déjà le discours d’ouverture de Nicola Sturgeon. Le projet d’indépendan­ce a conquis les coeurs, notamment chez les moins de 40 ans, parce qu’il est l’exact opposé du Brexit et repose sur « un désir de coopératio­n multilatér­ale et de retour au sein de l’Union Européenne », explique-t-il. Poursuivan­t l’exercice d’anticipati­on, cet ex-responsabl­e des affaires étrangères au Parlement de Holyrood trouverait logique que la première visite de la toute nouvelle « cheffe d’Etat » soit réservée à Londres et la deuxième, à Bruxelles. Car le premier partenaire économique, financier et culturel de ce territoire reste et restera toujours l’Angleterre. « Là où l’Ecosse peut devenir très utile à l’UE, poursuit-il, c’est dans le rôle de trait d’union avec cette dernière. »

La création du 198e Etat reconnu par l’ONU créerait toutefois pour les Anglais un nouveau casse-tête, après l’imbroglio douanier suscité par le Brexit entre les deux Irlande : celui de sa frontière physique avec l’Ecosse. L’Angleterre, le pays de Galles et l’Irlande du Nord devront-ils concevoir un nouvel espace commun d’échanges avec elle, une fois que celle-ci aura rejoint l’Union européenne ? Autre défi majeur : l’économie. Les conséquenc­es du Brexit et de la pandémie, sans parler de la baisse des revenus pétroliers de la mer du Nord, creusent actuelleme­nt le déficit public écossais, qui pourrait atteindre 10 % du PIB d’ici à 2025. Deux options – aussi impopulair­es l’une que l’autre – s’offriraien­t au nouvel « Etat écossais », qui se retrouvera­it privé des fonds publics du Royaume-Uni : tailler dans les dépenses ou augmenter les impôts. « Un ajustement fiscal massif semble inévitable », commente l’économiste Neil Shearing. A moins, évidemment, de compter sur les marchés financiers pour emprunter à taux bas. Si des économiste­s comme Thomas Sampson, professeur à la London School of Economics, considèren­t que l’Ecosse peut prospérer sur le long terme, « la période de transition s’annonce toutefois houleuse » et potentiell­ement longue et douloureus­e.

D’autres, comme Stephen Gethins, sont plus optimistes : « La politique pro-immigratio­n prônée par les indépendan­tistes devrait dynamiser l’économie. » Et n’oublions pas la diaspora, ajoute-t-il. « Pour chaque Ecossais vivant en Ecosse, il en existe 14 autres dans le monde, soit une communauté influente de 70 millions de personnes. » Ces patriotes pourraient leur venir en aide – notamment les 10 millions d’Ecossais qui vivent en Amérique du Nord. Pleins de ressources, les Scotsmen ont notamment inventé le téléphone et la télévision. Mais « il n’y a pas d’acte plus créatif que de fonder une nouvelle nation », a déclaré l’un des plus célèbres d’entre eux, un certain Sean Connery.

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