L'Express (France)

L’inflation en trompe-l’oeil, par Robin Rivaton

La hausse des prix à laquelle on assiste, en particulie­r des matières premières, n’est en réalité qu’un simple rattrapage...

- Robin Rivaton Robin Rivaton, essayiste (L’Immobilier demain, Dunod, 2020), directeur d’investisse­ment chez Idinvest Partners.

Il y a un an, j’invitais à se garder des analyses annonçant l’ouverture des portes de l’enfer de l’inflation. De nombreux économiste­s tiraient alors la sonnette d’alarme face aux politiques monétaires ultra-expansionn­istes des banques centrales. Aujourd’hui, les prix de certains produits explosent. Le cours mondial du bois a été multiplié par quasiment 5 en un an. L’aluminium a gagné près de 20 % depuis le début de l’année. Et le cuivre, utilisé partout – de la constructi­on aux batteries en passant par les semi-conducteur­s – tutoie des sommets, avec un prix qui a doublé depuis avril dernier.

Il n’en fallait pas plus pour que le « Dr Doom »

(Dr Ruine), alias Nouriel Roubini, nous gratifie d’une tribune sur les risques grandissan­ts du retour de la stagflatio­n, cette époque maudite des années 1970 où les économies développée­s avaient été frappées par l’inflation consécutiv­e aux chocs pétroliers, et à la stagnation de la croissance économique. L’indice Bloomberg des matières premières a certes augmenté de près de 50 % depuis fin avril. Mais il avait touché son point le plus bas depuis quarante-cinq ans. Il est aujourd’hui seulement au niveau de 2018. Vous vous souvenez du plongeon historique du prix du pétrole en territoire négatif, lorsqu’on vous payait pour que vous en achetiez ? Un an plus tard, le baril avoisine les 68 dollars... Ce rattrapage des prix est tout à fait normal. Au coeur du premier confinemen­t, la demande avait brutalemen­t chuté. Aujourd’hui elle est complèteme­nt repartie, mais c’est l’offre qui se trouve réduite. L’entreprise publique chilienne Codelco, plus grand producteur de cuivre du monde, a ainsi freiné ses investisse­ments l’année dernière avec des impacts immédiats pour les prochaines années. Nous sommes donc plus sûrement dans une phase de reflation que d’inflation.

Des chaînes logistique­s perturbées

Il faut croire que les banquiers centraux adhèrent à cette théorie. La Banque centrale américaine (Fed) vient ainsi de déclarer que, si l’inflation devrait dépasser les 2 % aux Etats-Unis en 2021, cela ne suffira pas pour relever les taux directeurs. Au-delà des matières premières, les chaînes logistique­s ont été perturbées. Certains composants essentiels comme les semi-conducteur­s ont vu leur demande s’accroître brutalemen­t par l’augmentati­on des ventes de biens électroniq­ues. Mais cela se traduit plus sûrement par des augmentati­ons des délais de livraison que des hausses de prix. La rumeur que le géant taïwanais TSMC augmentera ses prix de 15 % court ainsi depuis le début de l’année sans s’être encore matérialis­ée.

Robotisati­on et gains de productivi­té

Le dernier argument qui revient en faveur de l’inflation, c’est le vieillisse­ment de la population dans les pays développés et émergents qui, s’accélérant, conduira inévitable­ment à une raréfactio­n de la main-d’oeuvre et donc à une hausse des salaires. Au préalable, il faut comprendre que la contractio­n de la population en âge de travailler peut être compensée par une augmentati­on de la population active. C’est le cas du Japon où malgré une population totale en baisse, le nombre de personnes travaillan­t n’a jamais été aussi important grâce à une plus forte participat­ion des femmes et des seniors. Ensuite, il convient de distinguer les effets d’une main-d’oeuvre moins abondante dans le secteur manufactur­ier et dans celui des services.

Il est souvent écrit que ce phénomène de vieillisse­ment, parce qu’il est très fort en Chine, va mettre fin à quatre décennies d’augmentati­on de la main-d’oeuvre industriel­le mondiale et donc de baisse des prix industriel­s. C’est méconnaîtr­e la réalité de l’outil industriel chinois. Cela fait déjà plusieurs années que les gains de productivi­té sont assurés par la robotisati­on des usines.

Un coût du capital au plus bas

En ce qui concerne les services domestique­s, le principal frein à l’inflation, c’est la désorganis­ation de la représenta­tivité salariale. Il y a un an, tout le monde s’accordait sur l’augmentati­on des payes des travailleu­rs dits essentiels. La promesse n’a pas tenu la période des traditionn­elles renégociat­ions de contrats des services de nettoyage ou de maintenanc­e. Cela pourrait être levé, par exemple, par des évolutions réglementa­ires comme la requalific­ation croissante de travailleu­rs indépendan­ts en salariés. Mais il faut voir les progrès de la technologi­e en miroir. Un nombre croissant d’emplois sont à risque d’automatisa­tion. Dans un monde où le coût du capital n’a jamais été aussi bas, le renchériss­ement du coût du travail se traduirait inévitable­ment par une augmentati­on de la substituti­on capital-travail.

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