L’inflation en trompe-l’oeil, par Robin Rivaton
La hausse des prix à laquelle on assiste, en particulier des matières premières, n’est en réalité qu’un simple rattrapage...
Il y a un an, j’invitais à se garder des analyses annonçant l’ouverture des portes de l’enfer de l’inflation. De nombreux économistes tiraient alors la sonnette d’alarme face aux politiques monétaires ultra-expansionnistes des banques centrales. Aujourd’hui, les prix de certains produits explosent. Le cours mondial du bois a été multiplié par quasiment 5 en un an. L’aluminium a gagné près de 20 % depuis le début de l’année. Et le cuivre, utilisé partout – de la construction aux batteries en passant par les semi-conducteurs – tutoie des sommets, avec un prix qui a doublé depuis avril dernier.
Il n’en fallait pas plus pour que le « Dr Doom »
(Dr Ruine), alias Nouriel Roubini, nous gratifie d’une tribune sur les risques grandissants du retour de la stagflation, cette époque maudite des années 1970 où les économies développées avaient été frappées par l’inflation consécutive aux chocs pétroliers, et à la stagnation de la croissance économique. L’indice Bloomberg des matières premières a certes augmenté de près de 50 % depuis fin avril. Mais il avait touché son point le plus bas depuis quarante-cinq ans. Il est aujourd’hui seulement au niveau de 2018. Vous vous souvenez du plongeon historique du prix du pétrole en territoire négatif, lorsqu’on vous payait pour que vous en achetiez ? Un an plus tard, le baril avoisine les 68 dollars... Ce rattrapage des prix est tout à fait normal. Au coeur du premier confinement, la demande avait brutalement chuté. Aujourd’hui elle est complètement repartie, mais c’est l’offre qui se trouve réduite. L’entreprise publique chilienne Codelco, plus grand producteur de cuivre du monde, a ainsi freiné ses investissements l’année dernière avec des impacts immédiats pour les prochaines années. Nous sommes donc plus sûrement dans une phase de reflation que d’inflation.
Des chaînes logistiques perturbées
Il faut croire que les banquiers centraux adhèrent à cette théorie. La Banque centrale américaine (Fed) vient ainsi de déclarer que, si l’inflation devrait dépasser les 2 % aux Etats-Unis en 2021, cela ne suffira pas pour relever les taux directeurs. Au-delà des matières premières, les chaînes logistiques ont été perturbées. Certains composants essentiels comme les semi-conducteurs ont vu leur demande s’accroître brutalement par l’augmentation des ventes de biens électroniques. Mais cela se traduit plus sûrement par des augmentations des délais de livraison que des hausses de prix. La rumeur que le géant taïwanais TSMC augmentera ses prix de 15 % court ainsi depuis le début de l’année sans s’être encore matérialisée.
Robotisation et gains de productivité
Le dernier argument qui revient en faveur de l’inflation, c’est le vieillissement de la population dans les pays développés et émergents qui, s’accélérant, conduira inévitablement à une raréfaction de la main-d’oeuvre et donc à une hausse des salaires. Au préalable, il faut comprendre que la contraction de la population en âge de travailler peut être compensée par une augmentation de la population active. C’est le cas du Japon où malgré une population totale en baisse, le nombre de personnes travaillant n’a jamais été aussi important grâce à une plus forte participation des femmes et des seniors. Ensuite, il convient de distinguer les effets d’une main-d’oeuvre moins abondante dans le secteur manufacturier et dans celui des services.
Il est souvent écrit que ce phénomène de vieillissement, parce qu’il est très fort en Chine, va mettre fin à quatre décennies d’augmentation de la main-d’oeuvre industrielle mondiale et donc de baisse des prix industriels. C’est méconnaître la réalité de l’outil industriel chinois. Cela fait déjà plusieurs années que les gains de productivité sont assurés par la robotisation des usines.
Un coût du capital au plus bas
En ce qui concerne les services domestiques, le principal frein à l’inflation, c’est la désorganisation de la représentativité salariale. Il y a un an, tout le monde s’accordait sur l’augmentation des payes des travailleurs dits essentiels. La promesse n’a pas tenu la période des traditionnelles renégociations de contrats des services de nettoyage ou de maintenance. Cela pourrait être levé, par exemple, par des évolutions réglementaires comme la requalification croissante de travailleurs indépendants en salariés. Mais il faut voir les progrès de la technologie en miroir. Un nombre croissant d’emplois sont à risque d’automatisation. Dans un monde où le coût du capital n’a jamais été aussi bas, le renchérissement du coût du travail se traduirait inévitablement par une augmentation de la substitution capital-travail.