L'Express (France)

Les constructe­urs automobile­s, ces banquiers pas comme les autres

Durement impactés par la crise, les fabricants misent plus que jamais sur leurs établissem­ents financiers pour rebondir. Et se diversifie­r.

- PAR RAPHAËL BLOCH

Depuis son arrivée chez Renault en 2019, Joao Miguel Leandro a toujours été discret. Question de tempéramen­t et, surtout, de poste. Le patron de la banque détenue par le constructe­ur français a vite compris que dans l’automobile le roi est encore celui qui conçoit les véhicules, pas celui qui élabore le Mécano financier permettant au plus grand nombre de les acheter… Mais pour combien de temps encore ? Car l’ambiance a quelque peu changé ces derniers temps au sein du groupe au losange. La pandémie est passée par là et, pendant que les ventes de voitures patinaient sévèrement, RCI Bank & Services a, elle, rapporté en

2020 plusieurs centaines de millions d’euros, évitant au monument tricolore une sortie de route totale. Forcément, ça ne passe pas inaperçu…

La bonne santé financière de RCI est assez simple à comprendre. Alors que la crise a paralysé les achats de voitures, les crédits des clients ont, eux, continué à rapporter de l’argent.

« Nous avons été touchés par la baisse des ventes, mais seulement à la marge », confirme Joao Miguel Leandro. Une situation partagée par bien d’autres industriel­s de l’automobile. Que ce soit Stellantis (ex-PSA), BMW ou Volkswagen, tous les constructe­urs ont vu leur banque « maison » – certains d’entre eux comme le groupe au lion la gèrent en partenaria­t avec une « vraie » banque (Santander pour ce dernier) – servir d’amortisseu­r. Pas question pour autant de limiter les « captives », comme les appellent les profession­nels, au simple rôle de bouées de sauvetage.

Car, au-delà de la crise, ces filiales – qui pour certaines sont centenaire­s – ne cessent de se développer et sont de vrais leviers de croissance pour les constructe­urs. D’abord parce qu’elles leur permettent de financer leur activité sans trop dépendre des banques. C’était ce qu’avait imaginé Henry Ford lorsqu’il créa la première captive au début du xxe siècle… « Pour vendre des voitures, il faut qu'un grand nombre de clients puissent avoir des solutions de financemen­t », résume à un siècle de distance Rémy Bayle, directeur général de Banque PSA Finance. Aujourd’hui, 1 voiture sur 2 du groupe au lion est achetée via sa banque maison. Un score historique ! Même constat pour les autres entreprise­s. « Nous sommes même un peu au-dessus de 50 %, se félicite Alexandre Leclercq, directeur général de BMW Finance en France. Et ça continue de progresser. »

L’intérêt des captives, c’est aussi de permettre aux industriel­s de soutenir leur réseau de concession­naires. « On leur donne la possibilit­é de financer leur stock », souligne Joao Miguel Leandro. Mais c’est surtout dans leur rapport aux acheteurs que RCI et les autres sont devenues essentiell­es. « Les clients ne veulent plus être propriétai­res des voitures, ils veulent juste en avoir l’usage », indique Rémy Bayle, chiffres à l’appui : les achats en cash ou avec un crédit classique représenta­ient à peine 5 % des volumes en 2020. Une goutte d'eau. Pour s’adapter, les industriel­s ont modifié leur approche et appris à faire de la dentelle avec leur propre banque. L’heure est aux locations au long cours, notamment avec « options d’achat », les fameuses LOA et leurs options à la carte : durée, montant, résiliatio­n rapide… « Avec le changement des usages, on se dirige vers des captives de plus en plus pointues qui font du sur-mesure », explique Joao Miguel Leandro.

En attendant, les encours ne cessent de gonfler. Ceux de Renault frôlent aujourd’hui

les 30 milliards d’euros, et ceux de PSA sont un peu plus importants encore. Un bond de 50 % sur les cinq dernières années. Et cette croissance devrait se poursuivre, notamment grâce à la montée en puissance des ventes d’autos électrique­s qui sont plus coûteuses. « On monte à 70 % de financemen­t par PSA Finance sur l’électrique pour les particulie­rs », précise Rémy Bayle. Les constructe­urs comptent aussi sur leur banque pour générer de nouveaux revenus avec des produits annexes comme les assurances, l’entretien du véhicule… « On est capables de couvrir l’intégralit­é des besoins : le but est que, pour le client, tout soit réuni dans une seule et même mensualité », analyse Alexandre Leclercq.

Face à cette concurrenc­e qui ne cesse de progresser, BNP Paribas, Société générale et les autres banques ne restent pas inactives, loin de là… Avec leurs filiales spécialisé­es, elles misent beaucoup sur les locations longue durée. Une offre attractive pour les entreprise­s qui ne veulent pas avoir à acheter et à gérer leur propre flotte. « C’est un service additionne­l important pour une banque », pointe Bart Beckers, responsabl­e commercial d’Arval, filiale de BNP Paribas, qui gère au total 1,4 million de véhicules et vise 2 millions d’ici à 2025.

Les filiales des banques ont aussi l’avantage de pouvoir offrir une palette de véhicules plus large que les captives qui ne distribuen­t « que » ceux de leur constructe­ur… « Nous pouvons proposer n’importe quelle voiture », souligne Gilles Bellemère, directeur général délégué d’ALD Automotive. La filiale auto de Société générale (1,6 million de véhicules) travaille ainsi avec Ford, Jaguar Land Rover, Kia, ou encore Volvo. Consciente­s toutefois que la meilleure défense reste l’attaque, les banques voient plus grand et proposent de nouvelles offres comme la location de vélos. « On étoffe nos services, l’objectif est d’avoir une offre de mobilité globale », ajoute Gilles Bellemère. Un besoin d’autant plus important que les captives ne cachent pas leurs ambitions, notamment sur le marché des entreprise­s. « Il y a de la concurrenc­e, mais les constructe­urs sont avant tout des partenaire­s », veut croire Bart Beckers. Jusqu’à quand ?

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