Elisabeth Badinter :« La cause de la laïcité doit beaucoup à Manuel Valls »
La philosophe a été touchée par Pas une goutte de sang français* et rend hommage à l’ancien Premier ministre.
Elisabeth Badinter : « La cause de la laïcité doit beaucoup à Manuel Valls »
En 2011, j’avais donné un entretien au Monde des religions, en pleine affaire de la crèche Baby Loup. J’avais été frappée de constater qu’aucun responsable de gauche ne s’était ému de voir l’établissement condamné pour discrimination après le licenciement d’une femme voilée, et ce en dépit d’un règlement intérieur imposant la neutralité religieuse. J’avais ainsi déclaré que la gauche avait abandonné la laïcité à Marine Le Pen, ce qui est quand même extrêmement douloureux quand on a été si fiers de ce grand combat de la gauche. Je précisais que la seule exception était Manuel Valls. A cette époque, il n’était encore que député et maire d’Evry. Il faut se rappeler que non seulement la gauche ne se mobilisait par sur ce sujet mais qu’en plus elle accusait d’intolérance ceux qui se battaient pour le retour à une laïcité au sens premier du terme.
« Plutôt que de songer à défendre les vertus d’une laïcité républicaine, on a préféré nous prendre pour cible, depuis 1989 et l’affaire de Creil. Je n’oublierai ainsi jamais la prise de parole de Manuel Valls. Il était jeune, et a montré des convictions sans concession. Je ne le connaissais pas personnellement. Quand a débuté l’audience aux prud’hommes à Mantes-la-Jolie pour Baby
Loup, je me suis dit que nous avions besoin d’aide. Je l’ai appelé. Il a dit “J’arrive !”, quand bien même ce n’était alors qu’une petite affaire. Cela m’a donné de l’espoir. Nous étions si peu à nous battre pour la laïcité alors. Ce fut un moment capital pour la défense de cette cause, qui doit donc beaucoup à Manuel Valls.
« Je n’ai jamais cessé de lui être reconnaissante intellectuellement, car il n’a jamais baissé la garde, même en tant que Premier ministre. Le 13 janvier 2015, après l’attentat à Charlie Hebdo, il a prononcé un discours mémorable devant l’Assemblée nationale. Pour moi, il est l’incarnation même de la République laïque, ce qui d’ailleurs ne l’a pas rendu sympathique aux yeux de beaucoup de compagnons de gauche.
« Je ne connais toujours pas bien Manuel Valls, mais il y a une vraie fraternité entre nous. Parce qu’il est le seul à incarner ce qui me paraît être fondamental. Et c’est
« Il y a une vraie fraternité entre nous. Car il est le seul à incarner ce qui me paraît fondamental »
peut-être sa chance pour un grand rebond politique, car aucun autre responsable français ne le fait avec une telle force.
« J’ai lu son livre d’une traite. Je fais abstraction du chapitre nous concernant, mon mari, Robert, et moi, passage qui m’a autant émue que gênée, parce que je ne mérite pas de tels éloges. Mais j’ai été très touchée par son propos sur l’intégration. Dans ma famille et dans celle de Robert, des gens sont venus dans ce pays sans une goutte de sang français, comme le dit Romain Gary, mais ils ont adoré la France, sa culture et ses principes. Peut-être est-ce une réaction désormais minoritaire, mais il y a chez ces personnes originaires de l’extérieur, hier, Gary, aujourd’hui, Manuel Valls ou l’essayiste Fatiha AgagBoudjahlat, un grand amour de la France. Ce sont souvent les défenseurs les plus passionnés de la laïcité et d’une république dans laquelle on se sent libre. » ✷
* Pas une goutte de sang français, par Manuel Valls. Grasset, 220 p., 19 €.