L'Express (France)

Thierry Mariani : la revanche du transfuge s’appelle Le Pen

L’ex des Républicai­ns devient un personnage clef, susceptibl­e d’offrir à l’extrême droite sa première région lors du scrutin de juin 2021.

- PAR CAMILLE VIGOGNE LE COAT

Thierry Mariani a une qualité : il feint admirablem­ent le désintérêt. Ainsi, au sujet de sa candidatur­e à l’élection régionale comme tête de liste en Paca, le sexagénair­e déclarait-il encore, à l’été 2020 : « Une élection, c’est cinq minutes de gloriole pour cinq ans d’emmerdemen­ts. » Tout juste concédait-il, du bout des lèvres, y réfléchir, « si Marine Le Pen insiste… », invoquant « la reconnaiss­ance du ventre » envers celle qui l’avait fait élire, quelques mois plus tôt, député au Parlement européen sous les couleurs du Rassemblem­ent national. Une renaissanc­e pour celui qui avait perdu son siège de député en 2017 et se voyait depuis discrèteme­nt écarté des instances de sa propre famille politique, Les Républicai­ns. Trop encombrant, ce fervent défenseur des dictateurs Vladimir Poutine et Bachar al-Assad. Trop marqué « droite dure », sur l’immigratio­n et l’identité, à l’heure où le parti s’écharpait au sujet de la ligne à adopter face à Emmanuel Macron. Ils auraient peut-être dû écouter Philippe de Villiers. « Derrière ses airs un peu lourdauds, Thierry Mariani est un politicien redoutable. Un chien truffier qui doit se lécher les babines en ce moment », assure le souveraini­ste, qui l’apprécie depuis des années.

Si Thierry Mariani devrait « se lécher les babines », c’est qu’il pourrait bien offrir au Rassemblem­ent national sa plus belle victoire, lors des élections régionales de juin 2021. Ce qui serait une première pour le parti d’extrême droite, lequel a toujours échoué à conquérir une région – l’une des raisons de son échec à la dernière présidenti­elle. Cette fois-ci, plusieurs sondages donnent sa liste en tête au premier tour, devant celle du président sortant, Renaud Muselier (Les Républicai­ns). Et le match est loin d’être joué au second. La fusion des listes LR et LREM – annoncée en grande pompe dimanche 2 mai avant d’être abandonnée après trois jours de polémiques – lui offre un formidable argument. « Nous sommes la seule liste anti-Macron », clame-t-il sur BFMTV lundi 3 mai.

Thierry Mariani n’est pas sorti du studio de Jean-Jacques Bourdin que Marine Le Pen l’appelle déjà pour le féliciter. « Tu t’es bien débrouillé », lui glisse celle qui est rarement interviewé­e sans citer son nom, symbole de ce « rassemblem­ent » qu’elle aimerait voir grandir. Signe de sa confiance, l’amoureuse des chats lui a confié en 2019 un somali de belle facture, issu de la même portée que le sien. « C’est pas Laurent Wauquiez qui aurait gardé ton chat ! » s’est exclamée la femme de Mariani, après que Marine Le Pen a assuré la garde du félin pendant leurs vacances.

Du côté des Républicai­ns, justement, il embarrasse d’autant plus qu’il garde de bons rapports avec certains anciens camarades. « C’est un candidat redoutable. Sympathiqu­e, intelligen­t, et avec le sens de la formule », reconnaît Valérie Boyer, sénatrice des Bouches-du-Rhône, qui, en apprenant sa candidatur­e, a frémi : « Ça peut faire mal, il peut l’emporter. » « Le problème, c’est qu’on ne peut pas taxer Thierry Mariani de néofascist­e », abonde son ancien collègue de gouverneme­nt

Brice Hortefeux. Au siège, Christian Jacob ironise pourtant sur le retour de Thierry Mariani en Paca : l’ex-conseiller général, régional, député du cru, avait lâché la politique dans le Sud il y a neuf ans pour la 11e circonscri­ption des Français établis hors de France. « Il s’était roulé par terre, avait supplié Sarko de le sortir du Vaucluse. Il disait que ça l’emmerdait et qu’il n’y avait pas foutu les pieds pendant cinq ans ! »

« C’est un candidat redoutable. Intelligen­t, avec le sens de la formule »

se souvient le patron de la rue de Vaugirard. Il n’empêche, son profil vaut des nuits blanches à Renaud Muselier, ancien camarade et, aujourd’hui, principal adversaire. « On a tout fait ensemble, la même formation, je ne sais combien de batailles politiques. Nous avons été au gouverneme­nt l’un après l’autre… Je continuera­i à dire que c’est mon ami », glissait-il en décembre dernier. Désormais, le président sortant de la région Sud, de plus en plus soucieux, a changé de registre : « On ne peut pas être amis quand on se présente l’un contre l’autre », assène-t-il en privé.

Au Rassemblem­ent national, Thierry Mariani cultive une prudence de Sioux, feignant le détachemen­t. Officielle­ment, le député européen n’a pas sa carte au parti et se tient loin de la politicail­lerie interne, des guerres de clans et de pouvoir. Auprès de quelques amis, il s’est pourtant ému, en 2019, de l’état du mouvement : une structure très mal organisée, des cadres traumatisé­s par les purges, une candidate rétive à toute critique… « Le RN sousperfor­me par rapport à ses possibilit­és », explique-t-il alors à un proche. Depuis, il s’est prêté au jeu du bon soldat : très actif à Bruxelles, il a fait la tournée des fédération­s RN lors des municipale­s du printemps 2020. En interne, Thierry Mariani tente aussi de faire bouger quelques lignes, comme celle sur la question de la retraite à 60 ans. Un boulet programmat­ique, juge l’homme – qui ne s’aventurera jamais à le dire publiqueme­nt.

Car toute liberté a ses limites, particuliè­rement chez un rallié de la dernière heure. « M. Mariani est peut-être sincère… Ou peut-être vient-il car il n’avait plus de place aux Républicai­ns ? » fait mine de s’interroger Jean-Marie Le Pen, qui n’a pas oublié l’époque où l’intéressé l’affrontait avec véhémence lors des élections régionales de 2010. « C’est un garçon intelligen­t, mais une intelligen­ce au service de sa carrière personnell­e », abonde son vieil ennemi politique Jacques Bompard, maire d’Orange. Dans un parti qui laisse la bride courte à ses cadres, Thierry Mariani doit composer. Et découvre parfois que son aura d’ancien ministre est relative, comme lorsqu’il se voit imposer des candidats sur sa liste par la Commission nationale d’investitur­e, ainsi que l’a raconté Le Figaro. Une grosse colère et une menace de démission plus tard, il obtient finalement gain de cause. De justesse.

Difficile pour le RN de se passer de sa seule prise de poids. D’autant que, en cas de victoire aux régionales, Thierry Mariani devrait jouer les premiers rôles pour 2022. « S’il est élu, il fera des coups, de la contre-programmat­ion, il est madré ! » nous promet Philippe de Villiers. Mais toujours avec l’air de ne pas y toucher. W

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