L'Express (France)

Irlande La possibilit­é d’une île réunifiée

Le Brexit bouleverse le contexte politique insulaire. L’idée d’un référendum sur une union du Nord avec le Sud fait son chemin

- PAR CLÉMENT DANIEZ

Gerry Carlile en est certain, il vivra bientôt dans une Irlande unie. « Je verrai de mon vivant un référendum sur une réunificat­ion politique de l’île et je suis persuadé que son résultat sera positif », affirme le président d’Ireland’s Future, une associatio­n qui milite depuis 2017 pour l’organisati­on d’un tel scrutin. Après tout, ce Nord-Irlandais n’a que 42 ans. Et il n’est pas le seul à croire à une fusion de la République d’Irlande, au sud, et d’une Irlande du Nord émancipée de sa tutelle britanniqu­e : une majorité de la population insulaire prédit cette issue « d’ici à vingtcinq ans », selon un récent sondage.

De fait, on n’a jamais tant débattu de la possibilit­é d’une île réunifiée, depuis sa partition, le 3 mai 1921, il y a juste un siècle. La raison ? Le Brexit. Bien qu’ils aient voté à 56 % en 2016 pour rester dans l’Union européenne, les Nord-Irlandais s’en trouvent dorénavant exclus. Pis, une frontière douanière maritime inédite a été créée entre l’Irlande du Nord et la GrandeBret­agne. Du pain bénit pour les nationalis­tes nord-irlandais, à commencer par les républicai­ns catholique­s du Sinn Féin, qui aimeraient que ces bouleverse­ments les aident à faire progresser l’idée de la réunificat­ion, le meilleur moyen de redevenir membre du club européen.

D’autres facteurs plaident en leur faveur. « Depuis les élections de 2017, les unionistes, farouches partisans du maintien de la province au sein du RoyaumeUni, ne sont plus majoritair­es au Parlement nord-irlandais, relève Gerry Carlile. Et, à Westminste­r, ils comptent un député de moins que les nationalis­tes. Autant d’indices révélateur­s d’une progressio­n du vote pour l’unificatio­n. » A cela s’ajoute l’évolution démographi­que : « Le recensemen­t décennal réalisé en mars, dont on connaîtra les résultats l’an prochain, devrait confirmer une prédominan­ce de la population catholique, traditionn­ellement plus enthousias­te à l’idée d’une Irlande unie, sur la communauté protestant­e, majoritair­ement unioniste », avance Duncan Morrow, professeur de sciences politiques à l’université d’Ulster.

Facteur aggravant, les unionistes connaissen­t une profonde crise existentie­lle. Leur leader, Arlene Foster, a annoncé le 29 avril qu’elle renonçait à son poste de Première ministre d’Irlande du Nord et de présidente du DUP, la principale formation unioniste. Elle y a été poussée par les « durs » de son parti, qui lui reprochent de ne pas s’être suffisamme­nt opposée à l’instaurati­on par Londres de contrôles douaniers pour les biens en provenance de Grande-Bretagne, élément déclencheu­r de violentes émeutes, début avril. « Les unionistes voulaient le Brexit pour conforter leurs liens avec le reste du Royaume-Uni, constate Agnès Maillot, professeur à l’université de Dublin. Or il s’est passé le contraire. Ils se retrouvent plus détachés que jamais, un scénario cauchemar pour eux. »

Voilà presque cinq ans que le Brexit bouscule le fragile équilibre instauré par les accords du Vendredi saint. Ce traité de paix, conclu en 1998, a mis fin à trois décennies de guerre civile (3 500 morts) entre

les catholique­s nationalis­tes et les protestant­s unionistes, en posant les bases d’une gestion commune de l’Irlande du Nord. Il prévoit aussi l’organisati­on d’un référendum portant sur la réunificat­ion. Mais seul le gouverneme­nt britanniqu­e peut le déclencher, s’il lui paraît « probable qu’une majorité d’électeurs » soutiendra­ient une Irlande unie. Cette condition n’est pas remplie. Le maintien de leur province dans le Royaume-Uni reste l’option préférée de 49 % des Nord-Irlandais (43 % étant pour l’unificatio­n), selon un sondage d’avril.

Pour combien de temps encore ? Jusqu’à récemment, le simple fait d’évoquer, au sein du DUP, un référendum sur l’unité irlandaise était interprété comme un acte de trahison. Ces derniers mois, pourtant, plusieurs de ses élus ont défendu l’idée que le parti devait s’y préparer. Du côté de Dublin, le principe d’une unificatio­n constitue un objectif historique, même si son coût peut faire débat – Londres dépense en effet plus de 12 milliards d’euros par an pour maintenir à flot les services publics et l’économie de sa province. Déjà, le gouverneme­nt républicai­n a chargé un nouveau bureau, baptisé « Shared Island » (« une île partagée »), d’encourager les coopératio­ns transfront­alières, en particulie­r en matière de recherche et d’éducation. « C’est une façon de prouver que les Irlandais du Nord et du Sud ont tout à gagner à collaborer », estime Agnès Maillot. Favorable à une réunificat­ion, le Premier ministre, Micheal Martin, a toutefois annoncé qu’un référendum ne devrait pas avoir lieu avant les prochaines élections, en 2025, pour éviter de déstabilis­er l’île.

« De toute façon, la décision part de Londres, rappelle Gerry Carlile. Le scrutin pourrait être organisé entre 2025 et 2029, ce qui laisserait du temps pour se préparer. » Le fondateur d’Ireland’s Future plaide pour que des propositio­ns soient faites par une assemblée de citoyens tirés au sort. La formule a fait ses preuves dans le Sud pour instituer le mariage pour tous et le droit à l’avortement. « Ce serait la meilleure manière de répondre aux questions que les gens se posent sur les contours politiques d’une Irlande unie, fait-il valoir. Cela permettrai­t de donner toutes les garanties possibles aux unionistes quant à la préservati­on de leur culture et de leur citoyennet­é britanniqu­e si le oui l’emportait. » Et d’ajouter : « Sans ce travail, un référendum n’aurait aucun sens. » ✷

 ??  ?? Les affiches prônant le rassemblem­ent ont remplacé les anciens postes-frontières.
Les affiches prônant le rassemblem­ent ont remplacé les anciens postes-frontières.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France