Pologne Le présentateur télé qui menace les conservateurs du PiS
Pieux sans être réac, Szymon Holownia veut mettre fin à l’hégémonie du parti au pouvoir.
De vedette du petit écran à star de la politique, il n’y a parfois qu’un pas. Donald Trump était la tête d’affiche d’un programme de télé-réalité avant sa conquête de la Maison-Blanche. Volodymyr Zelensky a quant à lui joué à l’écran le rôle de président de l’Ukraine... avant de le devenir vraiment. Aussi à l’aise qu’eux face caméra, Szymon Holownia pourrait bien leur emboîter le pas. Douze saisons durant, cet animateur a présenté la version polonaise du télécrochet La France a un incroyable talent. Front large et petits yeux bleu pâle sous une coupe en brosse, cet homme de 44 ans tente aujourd’hui de se forger un destin national. Troisième lors de l’élection présidentielle de l’été 2020, il a lancé son propre parti, Pologne 2050, crédité de 20 à 25 % des intentions de votes. Et six parlementaires de l’opposition l’ont déjà rejoint. « Ils font le calcul qu’une vague monte et qu’il faut surfer dessus », juge Konstanty Gebert, chroniqueur à Gazeta Wyborcza.
Jusqu’où ira le phénomène Holownia ? Pas trop haut, espère le parti Droit et justice (PiS) du puissant Jaroslaw Kaczynski, qui contrôle le gouvernement et la présidence. Dépassé par la troisième vague épidémique de Covid-19, le PiS est descendu sous la barre des 30 points dans de récents sondages, et pourrait perdre sa majorité absolue à la Diète, si les élections législatives, prévues en 2023, étaient avancées. Ces chiffres inhabituels suscitent l’inquiétude au sein du mouvement ultraconservateur, abonné aux succès depuis son retour au pouvoir en 2015. Car son hégémonie électorale est la base
Il a écrit de nombreux ouvrages sur la foi et animé des émissions sur la chaîne Religia.tv
même des réformes qui lui valent les foudres de Bruxelles et de la Cour de justice de l’Union européenne : transformation de la télévision publique en organe de propagande, création de zones anti-LGBT, mise au pas de tout l’appareil judiciaire… « Le PiS nous a mis dans un marécage », répète Szymon Holownia dans ses nombreuses interventions vidéo.
Mais ce n’est pas son activité débordante sur les réseaux sociaux qui inquiète ses adversaires. Pour le PiS, le danger est ailleurs. Pour la première fois, le parti au pouvoir, qui se présente comme le meilleur défenseur des valeurs chrétiennes, a en face de lui un catholique fervent et qui se revendique comme tel. Holownia s’est préparé deux fois à la prêtrise, dans sa jeunesse, avant de renoncer. Devenu journaliste après des études de psychologie, il a écrit de nombreux ouvrages sur la foi et animé des émissions sur la chaîne Religia.tv, en plus de ses programmes de divertissement. Un profil séduisant pour l’électorat chrétien échaudé par la dérive autoritaire du PiS, mais rebuté par l’anticléricalisme de l’opposition.
Pour plaire au plus grand nombre, Holownia joue d’ailleurs d’une certaine ambiguïté. Exemple avec l’avortement, quasi interdit en Pologne : il se dit personnellement contre, mais promeut l’idée d’un référendum sur le sujet. Et pour sauver l’Eglise de son pays, minée par les scandales, il propose de la séparer financièrement de l’Etat. « A la fois conservateur et libéral, il remplit le vide politique entre le PiS et le principal parti d’opposition, la Plateforme civique [NDLR : PO, centriste] », analyse Piotr Buras, directeur du bureau de Varsovie du Conseil européen pour les relations internationales. Pour l’instant, c’est surtout à cette formation d’opposition, avec laquelle il est au coude-à-coude dans les sondages, qu’il prend le plus de voix. Et pour cause : il y a peu de différences entre ces deux mouvements proeuropéens, résolus à détricoter les réformes polémiques du PiS. La logique voudrait d’ailleurs qu’ils s’allient. « Mais il leur est difficile de coopérer tout en se battant pour prendre la tête de l’opposition », relève Aleks Szczerbiak, professeur de sciences politiques à l’université du Sussex. Résultat, ils risquent de se neutraliser. Et de servir les intérêts du PiS.
D’ici aux prochaines élections, l’aventure politique d’Holownia pourrait-elle tourner court ? Possible : la Pologne s’entiche régulièrement d’outsiders vite oubliés. Ce fut le cas du chanteur de rock Pawel Kukiz, qui, fort de sa troisième position à l’élection présidentielle de 2015, a fondé un parti comptant aujourd’hui... six députés à la Diète. « Holownia est plus professionnel, il s’appuie sur un groupe de réflexion pour travailler son programme, observe Aleks Szczerbiak. Mais plus il dévoilera ses positions, plus il s’aliénera d’électeurs, qui projettent sur lui des attentes contradictoires. » Malgré son incroyable talent, le présentateur est encore loin d’avoir gagné la finale. ✷