L'Express (France)

Arabie saoudite/Iran Les dessous d’un timide rapprochem­ent

Affaiblis sur le plan intérieur, les deux géants du golfe Persique ont remisé leur rhétorique martiale pour amorcer une fragile détente.

- PAR CHARLOTTE LALANNE

Des frégates flanquées du drapeau vert de l’Arabie saoudite foncent vers les côtes iraniennes. En un temps record, l’armée de Riyad pulvérise la résistance, débarque sur les plages perses et envahit l’Iran. Aux commandes de ce blitzkrieg maritime, un Mohammed ben Salmane (MBS) plus vrai que nature. Nul doute que le prince héritier saoudien, mordu de jeu vidéo, a savouré ce film d’animation dont il est le héros, mis en ligne par un mystérieux compte YouTube, à la fin de 2017. Six mois plus tôt, le dignitaire avertissai­t : « Nous n’attendrons pas que la guerre arrive chez nous et ferons en sorte qu’elle ait lieu en Iran. »

La bataille entre les titans du Golfe, figures tutélaires des deux grands courants de l’islam – le sunnisme pour Riyad, le chiisme pour Téhéran –, qui se disputent l’hégémonie sur la région, n’a pas eu lieu. Au contraire, le prince montre aujourd’hui un tout autre visage. « Tout ce que nous souhaitons, c’est d’avoir de bonnes relations avec l’Iran », déclarait-il le 27 avril, peu de temps après des fuites sur des discussion­s à Bagdad entre les deux frères ennemis, en rupture diplomatiq­ue depuis 2016. Le virage, attribué par certains à l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche, paraît spectacula­ire. « Il n’a en réalité rien de soudain, nuance Hussein Ibish, chercheur à l’Institut des Etats arabes du Golfe à Washington. La logique de confrontat­ion par procuratio­n au Yémen, au Liban, en Irak ou en Syrie a vécu. Affaiblis, les deux rivaux se rendent à l’évidence : ils n’ont plus aucun gain à tirer d’une telle stratégie. »

En coulisse, la rhétorique martiale avait cédé la place à des appels au dialogue depuis déjà deux ans. Deux tribunes, cosignées dans des journaux anglo-saxons par Hossein Mousavian, ex-porte-parole des négociateu­rs iraniens sur le nucléaire, et Abdulaziz Al-Sager, intellectu­el proche du royaume saoudien, en témoignent. Des contacts avaient été pris, mais aucune rencontre du niveau de celle de Bagdad, en présence de hauts responsabl­es des renseignem­ents des deux pays, n’avait jamais été organisée.

Au coeur de leurs discussion­s, la guerre au Yémen. Pour Riyad, il y a urgence. L’opération Tempête décisive, lancée en 2015 pour appuyer le gouverneme­nt yéménite face aux rebelles houthis soutenus par l’Iran, a viré à la débâcle. Les insurgés contrôlent toujours la capitale et la moitié nord du pays. Et ciblent désormais leur voisin saoudien. Pas moins de 150 attaques ont visé le royaume depuis le début de l’année. La plus impression­nante remonte à 2019 : deux installati­ons pétrolière­s majeures sont touchées, affectant la moitié de la production du pays. Washington, parrain historique des Saoudiens, ne bouge pas d’un iota. A ce traumatism­e s’ajoute l’effondreme­nt des cours du pétrole, conséquenc­e de la pandémie. De quoi hypothéque­r le projet phare de l’héritier de la couronne, Vision 2030, censé transforme­r l’économie du royaume et attirer les investisse­urs étrangers. « MBS n’a pas le choix, il a absolument besoin d’un environnem­ent pacifié pour réussir ce pari », analyse l’expert David Rigoulet-Roze.

Le moment est d’autant plus opportun que l’Iran, sous le coup des sanctions appliquées par Trump, est en piètre position. « Le pays, en faillite, a subi des revers stratégiqu­es, notamment l’assassinat par les Américains du général Qassem Soleimani, rappelle Hussein Ibish. Infiltrée par les renseignem­ents israéliens, la république

islamique est très vulnérable. » A l’approche de la présidenti­elle, ce 18 juin, le camp des réformateu­rs, incarné par le chef de la diplomatie, Mohammad Javad Zarif, joue la carte du dialogue avec l’Occident, en revenant à la table des négociatio­ns sur l’accord nucléaire. Et semble dans de bonnes dispositio­ns pour renouer avec Riyad.

« Le Yémen est un terrain de coopératio­n potentiel, explique Yasmine Farouk, du Carnegie Endowment for Internatio­nal Peace. La sécurité maritime en est un autre : le pétrole [exporté par bateau] fournit aux deux pays leur principale source de revenus. » Rien ne garantit, toutefois, la réussite d’une telle approche. « Les raisons profondes des tensions demeurent, conclut la chercheuse. La moindre étincelle peut mettre fin à tout espoir de détente. »

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