Burkina Faso L’armée démunie face à l’hydre terroriste
Le massacre d’une trentaine de civils et l’exécution de trois Européens illustrent le manque de moyens des forces burkinabées face aux groupes djihadistes.
Ses habitants l’appellent « l’axe de la mort ». A Fada, dans l’est du Burkina Faso, sur la route nationale 18 conduisant à la ville de Pama – 100 kilomètres plus au sud –, la menace terroriste rôde. Si pesante que certains membres des forces de sécurité ne veulent plus mettre les pieds dans cette zone. Surtout après l’attaque qui a coûté la vie à deux journalistes espagnols et au directeur d’une ONG irlandaise, le 26 avril. Une semaine plus tard, les djihadistes semaient encore la mort à Kodyel, un village de la même région, où une trentaine de personnes ont été tuées, l’un des plus lourds bilans de ces cinq dernières années. Les Volontaires pour la défense de la patrie, supplétifs civils de l’armée présents sur place, n’ont rien pu faire.
Ces drames illustrent une nouvelle fois le désarroi des forces de sécurité face à l’hydre terroriste. Près d’un tiers du territoire burkinabé échappe à leur contrôle. Une impuissance partagée par d’autres armées du Sahel, incapables d’enrayer les violences, qui ont fait 3 000 morts en 2020, soit 7 fois plus qu’il y a trois ans. Loin du « sursaut militaire » salué par Emmanuel Macron au dernier sommet du G5 Sahel en février, qui réunissait ses homologues burkinabé, malien, mauritanien, nigérien et tchadien, ce constat fragilise l’ambition de l’Elysée : passer progressivement le relais aux armées nationales pour désengager, à petits pas, l’opération française Barkhane. Révélé le 5 mai, l’enlèvement au Mali du journaliste français Olivier Dubois revendiqué par le Groupe de soutien de l’islam et des musulmans (GSIM), branche locale d’Al-Qaeda, complique d’autant plus la donne.
Sur le terrain, les troupes manquent de tout. D’effectifs, de matériel et d’expertise. « Le manque d’unités spéciales formées aux conflits asymétriques et la faiblesse des moyens aériens sont un frein à la lutte contre-insurrectionnelle », soulignait, en février 2020, un rapport de l’International Crisis Group sur le Burkina Faso. Cette impréparation a des conséquences dramatiques. Depuis 2015, les attaques des groupes djihadistes, dont certains sont affiliés à Al-Qaeda ou à l’organisation Etat islamique dans le grand Sahara, ont fait plusieurs milliers de victimes et plus de 1 million de déplacés au Burkina Faso. L’armée en paie un lourd tribut, avec plus de 290 militaires tués. Et ressent une lassitude grandissante.
« Nous avions informé notre chef de l’insuffisance des moyens, on nous a promis des blindés qui ne sont jamais arrivés », se désole un soldat rescapé de l’attaque du 26 avril. Dans l’est du pays, les groupes armés ont profité du faible maillage sécuritaire pour s’implanter et perfectionner leur mode opératoire. « Au départ, il s’agissait de paysans disposant de peu de moyens, puis des émissaires sont venus les former. Ils maîtrisent maintenant la fabrication d’engins explosifs et possèdent des armes de guerre », confie une source sécuritaire.
Démunies, les autorités misent de plus en plus sur la privatisation de la sécurité. Afin de protéger les forestiers confrontés à cette recrudescence de violences, elles ont lancé en 2019 le projet Fomek, financé par l’Union européenne, pour créer une brigade mixte de lutte antibraconnage. L’ONG américaine Chengeta Wildlife, qui accompagnait les journalistes tués à la fin d’avril, venait d’introniser la première promotion.
Plusieurs pays de la région ont eu recours à de tels services. En 2017 et 2018, l’organisation française Wildlife Angel a ainsi formé une cinquantaine d’écogardes au Burkina Faso et au Niger, avant de suspendre ses activités dans la zone, devenue trop dangereuse. Au Bénin, où deux touristes français avaient été enlevés en 2019 dans le parc de la Pendjari – puis libérés lors d’une opération militaire française –, le gouvernement a confié la sécurisation de la réserve naturelle à l’ONG sud-africaine African Parks, qui y déploie une centaine de rangers aux méthodes contestées.
Au Sahel, les milices privées ont également proliféré ces dernières années, à l’instar des Volontaires pour la défense de la patrie, officialisée en janvier 2020. Certains de ses membres attendent toujours équipement et formation, et sont régulièrement pris pour cible par les terroristes. Ils sont même accusés d’exactions. « Ces initiatives pourraient s’avérer contre-productives si l’armement des civils, toujours difficile à encadrer, aggrave les fractures locales et donne lieu à de nouvelles violences », alerte l’International Crisis Group. Au Mali voisin, selon l’ONG Human Rights Watch, des attaques attribuées à des milices ethniques ont tué plus de 600 civils en 2019.