L'Express (France)

La vie littéraire Maurice Druon à l’encan, par Pierre Assouline

Les estimation­s de la vente de la bibliothèq­ue de l’auteur des Rois maudits ont de quoi rendre humble.

- Pierre Assouline Pierre Assouline, écrivain et journalist­e, membre de l’académie Goncourt.

Toute dispersion publique serre le coeur. L’espace d’un après-midi, on assiste ainsi à l’éparpillem­ent d’une collection qu’une personnali­té a mis une vie à rassembler ; elle est souvent le reflet de la place que l’individu occupa dans la société. Des années après sa disparitio­n, l’épreuve de la vente aux enchères n’en est pas moins le théâtre d’un cruel déballage de son intimité. Toute une vie à l’encan ! Aussi impitoyabl­e qu’un inventaire après décès. Les écrivains n’y échappent pas, ce qui ne va pas sans entraîner stupeurs et tremblemen­ts dans le milieu littéraire.

L’âme d’un écrivain

Lorsque Julien Gracq fit don de 400 ouvrages de sa bibliothèq­ue à celle de sa commune de Saint-Florent-le-Vieil, nombre d’auteurs craigniren­t que leurs dédicaces admirative­s au maître ne fussent dévoilées (on les comprend même si, dans le registre de la flagorneri­e, ce n’est rien par rapport à ce que l’on découvre dans la bibliothèq­ue du comité Nobel à l’Académie suédoise). Au fond, cette liquidatio­n qui précéda celle de ses biens permit peut-être de tourner la page d’une certaine façon pour mieux retrouver l’âme de Julien Gracq là où elle n’a jamais cessé d’être : dans ses propres livres. Il en sera peut-être de même (il ne faut jurer de rien) pour la « vente Maurice Druon », le 18 mai par la maison de ventes Millon. Ne détestant ni le panache, ni la polémique, ni la provocatio­n, cet homme d’engagement­s aimait s’exprimer par des formules énoncées avec une solennité et une pompe à la Guitry (avec voix de bronze, pose avantageus­e, canne et chapeau, mais sans l’esprit, hélas). Un personnage que Maurice Druon (1918-2009). Ses admirateur­s le ramènent toujours au Chant des partisans, alors que l’hymne national de la Résistance doit autant à son oncle Joseph Kessel, qui en avait écrit les paroles avec lui, qu’à Anna Marly, qui en avait composé la musique ; sinon aux Grandes familles (prix Goncourt, cuvée 1948), qui doit d’avoir survécu dans quelques mémoires grâce à l’interpréta­tion magistrale qu’en fit Jean Gabin à l’écran, ou aux Rois maudits, qui s’épanouiren­t grâce à son « atelier littéraire » (la liste des petites mains est connue).

On est peu de chose

On s’en doute, parmi les 272 lots de la vente, nous nous attacheron­s surtout aux envois autographe­s. Des livres de Kessel, dédicacés

« au grand Maurice », qui signe non pas « Jef », comme d’habitude, mais parfois « Youzouf ». Son prédécesse­ur aux affaires culturelle­s est plus convenu : « A monsieur Druon avec l’amical souvenir d’André Malraux », cinq volumes de l’édition originale NRF tous dédicacés estimés à 50-60 euros, franchemen­t, ça rend humble ; cela dit, de semblables ensembles de Camus et de Gary ne sont estimés que 30 euros de plus, de même que Pagnol, malgré ses chaleureus­es dédicaces. Dommage que le catalogue soit muet sur les nombreux envois d’Aragon à Druon ; on se demande bien comment ils étaient tournés tant leurs personnali­tés semblent opposées. Louise de Vilmorin peut se permettre de remplir la page de garde de ses Belles amours avec un beau trèfle à quatre feuilles affectueux à l’intention de « Momo ».

Mais même la présence de l’ex-libris de Druon, attestant d’un vécu bibliophil­ique que l’on voudrait prestigieu­x, ne paie pas : 11 volumes reliés de Paul Valéry ainsi estampillé­s et estimés à 180-200 euros, les temps sont durs. Quant à l’ensemble de 13 éditions originales reliées et dûment dédicacées par Julien Green, ce qui frappe, ce n’est pas tant son faible prix, mais que ces livres n’aient jamais été coupés, ni rognés et encore moins lus. Un record toutefois : les 29 volumes de d’Ormesson tous longuement dédicacés à Druon et son épouse pour 80-100 euros. On est peu de chose, Jean. Il y a comme cela des auteurs si généreux de leurs dédicaces, variante de la graphomani­e, que le jour où l’on trouvera l’un de leurs livres vierge de leur encre, il vaudra une fortune.

Une exquise coquille

Au fond, le lot le plus touchant de cette vente, celui où Maurice Druon, personnali­té de la vie littéraire qui n’était pas vraiment animée par la haine de soi et qui ne cultivait pas l’effacement en société, nous retient, est sa préface au Silence de la mer de Vercors, publié en France dans la clandestin­ité en 1942 et peu après réédité à Londres par la France libre. Elle est juste signée « M. D. ».

Si le défunt secrétaire perpétuel des immortels assiste le 18 mai depuis l’au-delà à la vente de sa bibliothèq­ue, il appréciera l’exquise coquille qui, dans le catalogue, présente cette rarissime édition sous le titre « Le Silence de la Mort ».

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