Les syndicats policiers entre ras-le-bol et radicalisation
Excédées par les violences subies par leurs collègues, plusieurs organisations prennent des positions véhémentes.
« C’est horrible. » Notre interlocuteur, un leader syndical de la police, est consterné par le communiqué publié par France Police, le 6 mai dernier. Dans les heures qui ont suivi l’assassinat du brigadier Eric Masson par un petit malfrat, à Avignon, ce syndicat a dégainé une lettre ouverte au président Macron. En ligne de mire, il s’agit de rien de moins que la fin des libertés publiques dans un certain nombre de quartiers. « Dans le cadre de l’état d’urgence, il faut procéder au bouclage des 600 territoires perdus de la République, y compris avec le renfort de l’armée, en contrôlant et en limitant les entrées et sorties
Un responsable conseille à l’exécutif de « s’inspirer des modèles brésilien et philippin »
de ces zones par des check points, sur le modèle israélien de séparation mis en place avec les territoires palestiniens », réclame son secrétaire général, Michel Thooris, ancien conseiller de Philippe de Villiers et de Marine Le Pen. Ce policier de 41 ans conseille encore à l’exécutif de « s’inspirer des modèles brésilien et philippin », c’est-à-dire de « donner carte blanche à la police pour reprendre le contrôle des zones de non-droit ». Au Brésil, les forces de l’ordre ont tué en moyenne, en 2018, 16 personnes par jour.
Dans le microcosme de Beauvau, le syndicat France Police – 3,05 % des suffrages, tout de même, aux élections professionnelles de 2018 –, fait toujours figure de vilain petit canard maximaliste, obsédé par l’idée de guerre civile, à la manière des généraux signataires de la récente tribune de Valeurs actuelles. Il a d’ailleurs été écarté de l’intersyndicale de 14 organisations qui a décidé de la tenue d’une manifestation de « soutien à la police républicaine », ce 19 mai. Sans approcher de la radicalité de Michel Thooris, plusieurs formations musclent depuis quelques années leurs standards, face à ce que plusieurs syndicalistes nomment le « police bashing », une critique injuste, selon eux, du travail des forces de l’ordre. En juin 2019, Alliance avait ainsi haussé le ton après la mise en examen de fonctionnaires pour des faits survenus pendant les manifestations de gilets jaunes. « Si nos collègues venaient à être injustement condamnés, nous saurons ce qu’il nous reste à faire… et notre colère, personne ne pourra la contenir », menaçait un tract du bureau national. « Un jeu de rôles », dédramatise une source gouvernementale haut placée, convaincue qu’aucune défection n’était à craindre. Le syndicat a reconnu ensuite que le passage pouvait être « mal interprété ».
Mathieu Zagrodzki, chercheur associé à l’université de Versailles-Saint-Quentin, observe une tendance de fond : « Certaines organisations, comme Alliance, ont toujours eu un discours assez ferme, catalogué à droite, mais on assiste à une escalade beaucoup plus large, qui s’explique selon moi par une défiance grandissante de la base policière. » Un sentiment exprimé à l’égard de l’exécutif, mais aussi de la justice, accusée de clémence à l’égard des délinquants. Les 14 membres de l’intersyndicale, et non pas seulement Alliance, veulent des « peines minimales pour les agresseurs de forces de l’ordre ». Autrement dit des peines planchers, qu’un juge devra prononcer s’il reconnaît la culpabilité d’une personne mise en examen. Ce système a déjà été mis en place entre 2007 et 2014, à ceci près que le magistrat pouvait s’en écarter, en vertu du principe d’individualisation des peines consacré par le Conseil constitutionnel. Une dérogation que Frédéric Lagache, délégué général d’Alliance, souhaite supprimer : « Là où les peines planchers ont été le moins appliquées, c’est en Seine-SaintDenis, où le taux de criminalité est le plus fort, donc on voit bien que ça ne marche pas. Il faut changer la Constitution pour que les peines soient imposées au juge. » Sous la Ve République, celle-ci n’a encore jamais été modifiée pour rogner le rôle des juges.