L'Express (France)

Minorités : un soft power en mode multicolor­e

Incarné par Kamala Harris et de nombreux ministres, le melting-pot demeure un puissant vecteur de la politique d’influence américaine.

- AXEL GYLDÉN

Kamala Harris est née en Californie en 1964. Cette même année, les électeurs du Golden State approuvaie­nt un projet de loi (ultérieure­ment bloqué par la Cour suprême de l’Etat) visant à préserver la ségrégatio­n urbaine entre Noirs et Blancs. Cinq décennies plus tard, cette Californie­nne métissée, issue d’un mariage entre une Indienne et un Jamaïcain, est devenue la vice-présidente des Etats-Unis.

« La possibilit­é pour des migrants ou leurs enfants de se hisser au plus haut sommet reste l’un des aspects les plus réels du rêve américain, estime le journalist­e du Los Angeles Times Dan Morain, qui publie Kamala Harris. Des rues d’Oakland aux couloirs de la Maison-Blanche (Talent éd.). De l’autre côté de l’Atlantique, des gens issus de la diversité sont représenté­s dans les plus hautes sphères. C’est vrai au cinéma, dans le monde politique et au sein des entreprise­s de la tech, dans la Silicon Valley. »

Depuis la nomination au ministère du Logement de l’Afro-Américain Robert C. Weaver en 1966 par Lyndon B. Johnson, tous les présidents, y compris républicai­ns (sauf Richard Nixon), ont eu à coeur de mieux représente­r la diversité ethnique dans leur gouverneme­nt que dans les précédents. La présence à la tête du secrétaria­t d’Etat (ministère des Affaires étrangères) de Colin Powell et celle de Condoleezz­a Rice dans l’administra­tion de George W. Bush (2001-2008) ont marqué les esprits. Plus tard, même Donald Trump a pris soin de réserver deux portefeuil­les à des ministres de couleur : celui du Travail à l’Américano-Taïwanaise Elaine Chao, celui du Logement à l’Afro-Américain Ben Carson.

Mais aucun président, pas même Barack Obama, n’a poussé aussi loin que Joe Biden la logique de la diversité. Son cabinet inclut toutes les couleurs de l’arc-en-ciel : une Asiatique, une

Latino, la première Amérindien­ne de l’Histoire (Deb Haaland, à l’Intérieur), ainsi qu’un ministre ouvertemen­t gay (Pete Buttigieg, aux Transports) et une transsexue­lle (Rachel Levine, secrétaire adjointe à la Santé).

Avec cinq ministres, dont le secrétaire à la Défense Lloyd Austin, les Noirs américains – qui représente­nt 12 % de la population – sont les mieux lotis. « Cela correspond au rôle déterminan­t joué par les

Aucun président n’a poussé aussi loin que Joe Biden la logique de la diversité

Afro-Américains, historique­ment fidèles au Parti démocrate, dans le succès électoral du président. Sans leur soutien massif, Joe Biden n’aurait jamais remporté la primaire de Caroline du Sud, qui fut le tournant de sa campagne », rappelle Rogers Smith, professeur de sciences politiques à l’université de Pennsylvan­ie, spécialisé dans les questions de droit constituti­onnel, de citoyennet­é, de race et de genre.

Mais l’approche de Biden ne concerne pas seulement les symboles. « Ses trois programmes de relance économique – le Plan américain de sauvetage, le Plan pour la famille et le Plan pour l’emploi – incluent des dispositif­s d’aide aux minorités ethniques, concernant notamment le financemen­t des “collèges et université­s historique­ment noirs” », poursuit Rogers Smith. Créés pour recevoir les étudiant noirs avant la déségrégat­ion des années 1960, ces 105 établissem­ents accueillen­t toujours 10 % de tous les étudiants noirs du pays et sont considérés comme des tremplins. Martin Luther King, Oprah Winfrey, Spike Lee, Toni Morrison ou encore... Kamala Harris les ont fréquentés.

« Femme, afro-descendant­e et d’origine indienne, ayant vécu dans un environnem­ent francophon­e (Québec) pendant son adolescenc­e, Kamala Harris porte en elle une compréhens­ion du monde dans ses multiples dimensions », estime son biographe Dan Morain. Pour des milliards de personnes, en Inde, en Afrique ou en Amérique latine, elle incarne un modèle auquel il est très facile de s’identifier. A elle seule, la viceprésid­ente est un puissant vecteur du soft power américain. Qui, quoi qu’on pense des Etats-Unis, continue de faire rêver au-delà des frontières.

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Le secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, avec la vice-présidente.

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