Et déjà, l’économie en surchauffe
L’ampleur du redémarrage outreAtlantique surprend. Une stratégie de mise sous tension qui crée des problèmes de main-d’oeuvre.
Dans les 7-Eleven, ces épiceries de proximité ouvertes sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et installées à tous les coins de rue, ce printemps a presque le goût du monde d’avant. Presque, car certains commerces n’ont pas totalement retrouvé leurs vieilles habitudes. Les franchisés de l’enseigne ont récemment demandé à la direction de ne pas ouvrir la nuit. Pas pour des questions sanitaires. Ni pour des raisons de sécurité. Encore moins faute de clients. Tout simplement parce qu’ils ne trouvent pas suffisamment de personnel pour tenir les magasins. Au Texas, des restaurants McDonald’s ont placardé sur leurs drive-in des messages d’excuses pour la lenteur du service, expliquant que « plus personne ne [voulait] venir travailler ici ». Uber, le géant des VTC, lui, vient de mettre 250 millions de dollars de bonus sur la table pour accroître la rémunération de ses chauffeurs, dont une partie s’est volatilisée depuis la pandémie.
Alors que l’Amérique repart sur les chapeaux de roue, on parle déjà de pénurie de main-d’oeuvre. Un manque de bras qui a amené le vice-président de la Chambre de commerce américaine, Neil Bradley, à faire part de son énervement début mai, demandant la fin rapide de l’aide supplémentaire aux chômeurs de 300 dollars hebdomadaires mise en place par Joe Biden. Motifs : trop d’assistanat, manque d’incitation à reprendre un travail… Le débat est bien sûr monté en épingle par les républicains, trop contents de tirer à boulets rouges sur cette Amérique qui « s’européanise ». Si le marché de l’emploi dégèle vite, il manque encore 8 millions de jobs par rapport au niveau d’avant la pandémie. Mais les économistes ont fait leurs calculs. « Dans certains Etats, l’assurance chômage versée équivaut à un job à temps plein payé 23 dollars de l’heure, quand le salaire minimum fédéral est scotché à 7,50 dollars », détaille Alicia Levine, stratégiste en chef de BNY Mellon Investment, à New York.
Cet exemple illustre à lui seul l’ampleur du virage keynésien imaginé par la nouvelle administration. Si on cumule tous les « paquets budgétaires » mis en place depuis un an, et notamment le dernier, le plan de sauvetage de 1 900 milliards de dollars voté en mars, les Etats-Unis ont déjà injecté dans l’économie quelque 5 000 milliards d’euros, soit 24 % du PIB ! A titre de comparaison, pour contrer la crise des subprimes il y a dix ans, Obama avait dépensé 6 fois moins. Et c’est compter sans les nouveaux programmes sur les infrastructures et sur les familles, qui n’ont pas encore été votés. Une relance historique qui a une traduction sonnante et trébuchante sur les comptes bancaires de la plupart des Américains. Grâce aux chèques du Trésor – 1 400 dollars par famille, en mars –, le revenu disponible des ménages a fait un bond de 21 % en l’espace d’un mois. Avec le déconfinement, la cigale américaine a des munitions pour chanter tout l’été.
De fait, la reprise surprend déjà par sa vigueur. Elle a même pris de court toutes les institutions internationales, qui ont dû revoir leurs copies. « En l’espace de quatre mois, on est passé d’une estimation de prévision de croissance de 3,5 % en 2021 à 6,4 % », reconnaît Patrick Lenain, chef de la division chargée des Etats-Unis à l’OCDE. « Ce sont les montagnes russes. En moins d’un an, l’Amérique a basculé d’une récession historique à une quasi-surchauffe », ajoute Gilles Moëc, chef économiste d’Axa. Le redémarrage est tel que le pays devrait effacer la chute de l’activité liée à la pandémie dès ce printemps ! Mieux, il pourrait retrouver le niveau de richesse qu’il aurait atteint sans le Covid d’ici à la fin de l’année, d’après les projections de l’OCDE. En Europe, il faudra sans doute attendre la fin de 2023, voire 2024…
Dans l’entourage de Janet Yellen, la nouvelle secrétaire au Trésor, cette stratégie a même un nom : la « high pressure economy » (l’« économie sous haute pression »). Il s’agit d’ouvrir grand les vannes des politiques budgétaires et monétaires le plus longtemps possible et bien au-delà de ce que la situation réelle de l’économie le nécessite. Avec un louable objectif : réduire les inégalités en ramenant sur le marché de l’emploi ceux qui en étaient exclus depuis des années et en augmentant les salaires des working poors. « Le taux d’emploi avait à peine retrouvé début 2020 son niveau d’avant la crise des subprimes [en 2008], et il est toujours très en deçà du sommet des années 2000 », observe Thomas Grjebine,