L'Express (France)

Biden, champion du « monde libre » face aux autocrates

Le président veut endosser le costume de défenseur des démocratie­s et éviter une désintégra­tion politique de son pays.

- CYRILLE PLUYETTE

Beaucoup le comparent à Franklin D. Roosevelt (1933-1945), au vu de l’ampleur de ses plans de relance (plus de 6 000 milliards de dollars au total). Mais son ambition de redevenir le leader du « monde libre » peut aussi évoquer Harry Truman, qui, en 1947, à l’aube de la guerre froide, décrivait un monde coupé entre deux « modes de vie », l’un garantissa­nt la « liberté individuel­le », l’autre s’appuyant sur « la terreur et l’oppression ».

Biden sait bien que, à l’heure de l’indépendan­ce des économies, la logique stricte des blocs appartient au passé, surtout s’il veut lutter efficaceme­nt contre le réchauffem­ent climatique. Mais le xxie siècle sera selon lui le théâtre d’une « bataille » décisive entre les démocratie­s et les autocratie­s qui se disent mieux armées pour répondre aux défis de l’époque. « Nous devons prouver que notre modèle n’est pas une relique de l’Histoire », martèle-t-il.

Marqué par l’envahissem­ent du Capitole, Joe Biden veut réparer les dégâts de quatre ans d’une présidence trumpienne qui a accentué les divisions de la société et échaudé ses alliés. En endossant le costume de défenseur des démocratie­s, « il cherche un principe directeur capable de créer une mobilisati­on à la fois à l’intérieur du pays et chez ses partenaire­s étrangers », résume Jeremy Shapiro, directeur de recherche au Conseil européen pour les relations internatio­nales.

Cette démarche passe par une réaffirmat­ion de l’éthique et des valeurs traditionn­elles de l’Amérique, piétinées par Donald Trump. Le 46e président des EtatsUnis a rapidement pris le contre-pied de son prédécesse­ur, qui se disait « ami » d’autocrates comme le Nord-Coréen Kim Jong-un ou le Chinois Xi Jinping. Pour Biden, ce dernier est un « voyou » sans « une once de démocratie en lui » tandis que le président russe Vladimir Poutine est un « tueur ». Le plaidoyer politique présidenti­el a été relayé par son secrétaire d’Etat, Antony Blinken, lors d’une tournée asiatique visant à renforcer les alliances, et à Bruxelles où il a réaffirmé l’engagement américain dans l’Otan.

Si Joe Biden, qui souhaite organiser prochainem­ent un « sommet des démocratie­s », s’agite autant, c’est qu’il a compris le danger : pour la première fois depuis la guerre froide, les Américains ont devant eux un rival capable de leur ravir la première place mondiale. Même si la Russie « reste déterminée à accroître son influence globale », la Chine communiste est le « seul compétiteu­r potentiell­ement capable de cumuler ses puissances économique, diplomatiq­ue, militaire et technologi­que pour poser un problème durable » au système internatio­nal, estime la Maison-Blanche. Pékin veut devenir « le leader du monde », mais « cela ne se produira pas » a d’ores et déjà asséné Biden.

Face à l’empire du Milieu, il s’est montré ferme dès son entrée en fonction, maintenant les tarifs douaniers instaurés par Trump sur certains biens, haussant le ton sur la question des droits de l’homme – les

Etats-Unis se sont joints à l’Europe pour sanctionne­r des dirigeants responsabl­es de la répression des Ouïgours.

Jusqu’où Biden est-il prêt à aller ? « L’administra­tion actuelle reprend en grande partie la stratégie de Trump envers la Chine. Mais que fait-elle réellement pour empêcher l’oppression des Ouïgours dans le Xinjiang ou l’étouffemen­t des libertés à Hongkong ? Et que se passerait-il si la Chine organisait un blocus naval autour de Taïwan ? Il n’est pas sûr que Biden serait prêt à partir en guerre pour défendre l’île », glisse Aaron David Miller, chercheur au centre de réflexion Carnegie Endowment for Internatio­nal Peace à Washington.

Le président démocrate l’a reconnu : s’il est prêt à une rude « compétitio­n » avec la Chine, il veut éviter un conflit. En Asie ou ailleurs, pas d’aventurism­e pour Biden, qui a d’ailleurs été clair : ses choix de politique étrangère seront faits « pour la classe moyenne ». « C’est la raison pour laquelle il se désengage de certains pays – comme l’Afghanista­n – et donne la priorité aux sujets susceptibl­es d’avoir un impact sur les

Biden a été clair : ses choix à l’internatio­nal seront faits « pour la classe moyenne »

intérêts américains : fermeté avec la Chine, investisse­ments dans les technologi­es pour contrer Pékin », analyse Alexandra de Hoop Scheffer, directrice du bureau français du German Marshall Fund of the United States. De même, les Etats-Unis ne comptent pas se lancer dans une « grande négociatio­n » avec Kim Jong-un, après l’échec de Trump sur le dossier nucléaire.

« Biden est arrivé à la conclusion, opposée à celle de Truman, que la plus grande menace pour sa présidence, et pour le pays, ne viendra pas de l’étranger, mais d’une atteinte interne aux fondements de la démocratie », souligne Aaron David Miller, pour qui la politique étrangère de l’administra­tion Biden se caractéris­e jusqu’à présent par sa « prudence » et son « aversion du risque », visibles dans sa volonté de ne pas trop s’impliquer dans le conflit israélo-palestinie­n. Reste à savoir si le bruit du monde l’obligera à montrer davantage les muscles.

spécialist­e des Etats-Unis au centre d’études prospectiv­es et d’informatio­ns internatio­nales. Ironie de l’histoire : alors que Biden n’a pas la majorité au Congrès pour faire passer une augmentati­on du salaire minimum fédéral à 15 dollars, ce sont les forces du marché qui pourraient exaucer ses voeux.

Les risques ? « L’inflation comme on l’a connue dans les années 1970 a disparu », répond l’économiste Patrick Artus.

Les finances publiques ? Le déficit budgétaire – recalculé selon les normes européenne­s – atteindrai­t cette année, d’après l’OCDE, 16 % du PIB, et la dette, 134 %… Et personne n’y trouve rien à redire. « Les Etats-Unis peuvent faire ce qu’aucun autre pays du monde, excepté la Chine, peut se permettre, car ils ont le dollar », observe Olivier Piton, avocat au barreau de Washington. C’est aussi ça, le nouveau rêve américain.

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