Pourquoi l’Amérique fait à nouveau rêver Après avoir été malmenés par Donald Trump et meurtris par la pandémie, les Etats-Unis redressent la tête. Il leur faut maintenant faire revivre l’American dream.
Après avoir été malmenés par Donald Trump et meurtris par la pandémie, les Etats-Unis redressent la tête. Il leur faut maintenant faire revivre l’American dream.
Voilà longtemps que les Américains ne l’avaient pas vu sourire. Ce 13 mai, c’est un Joe Biden radieux – et à visage découvert – qui s’est présenté devant les caméras, pour l’une de ses rares conférences de presse. « C’est un grand jour pour l’Amérique, s’est-il réjoui. Si vous êtes vacciné, vous n’avez plus besoin de porter de masque. Vous pouvez vous serrer la main, et même vous étreindre. » Attendue avec impatience par la population, cette annonce consacre la victoire américaine sur le virus, alors que la situation semblait, il y a encore quelques mois, hors de contrôle. Le 23 février dernier, le cap des 500 000 morts était franchi, les drapeaux en berne à Washington. Les Etats-Unis étaient – de loin – le pays le plus touché du monde par le Covid-19.
Trois mois plus tard, on ne déplore « que » 600 décès quotidiens dans le pays, soit le niveau le plus bas depuis avril 2020, au début de la pandémie. Et 6 adultes sur 10 ont reçu au moins une dose de vaccin.
L’Amérique redresse la tête, et son président fait feu de tout bois. Véritable machine de guerre, sa stratégie sanitaire fonctionne à plein. Sur le front économique, Joe Biden prépare un électrochoc comparable au New Deal des années 1930 de Franklin Roosevelt. Plus de 6 000 milliards de dollars (environ 5 000 milliards d’euros) sont injectés dans les infrastructures, le système social ou l’innovation. Et, déjà, l’économie donne des signes de surchauffe (voir page 20) !
Sur la scène internationale, le 46e président des Etats-Unis a, depuis son investiture en janvier dernier, fait passer un message clair à ses rivaux russe et chinois : America is back, et sa capacité de rebond est phénoménale. « Ce qui frappe avant tout, c’est la rapidité avec laquelle l’administration Biden met en oeuvre son agenda politique, commente Alexandra de Hoop Scheffer, directrice du bureau français du German Marshall Fund of the United States. Dès les premiers jours, Biden s’est attaqué aux trois “C” prioritaires de son programme : le Covid, le climat et la Chine. Il rompt avec les politiques économiques des précédentes administrations, déployant un interventionnisme d’Etat qui vise à “protéger” les Américains d’une crise sans précédent et un discours ferme à l’égard de Pékin. » Tout en restant prudent sur certains dossiers, comme on le voit pour le conflit israélo-palestinien.
En Europe, le retour des Etats-Unis à une certaine normalité, après le chaos des années Trump, rassure les grandes chancelleries. La bidenmania bat son plein, et l’on regarde avec envie cette Amérique qui fait – toujours – les choses en plus grand que le Vieux Continent. Quitte à oublier au passage que de nombreux investissements ne constituent qu’un rattrapage sur le retard abyssal pris dans certains domaines.
« En réalité, Joe Biden répare plus qu’il n’innove, poursuit Alexandra de Hoop Scheffer. Le plan d’infrastructures vise d’abord à corriger des décennies de sous-investissements. Sa volonté d’augmenter les impôts sur les sociétés ou les revenus élevés ne fait que compenser les baisses voulues par son prédécesseur. Enfin, une grande partie de ses propositions pour les familles (aide à l’enfance, scolarisation) existent déjà en Europe. » Même constat sur le plan pour le climat : « Derrière une rhétorique forte, Joe Biden sait très bien que l’économie américaine subirait un choc terrible si elle adoptait les standards environnementaux des Européens, explique Jérémie Gallon, directeur général pour l’Europe du cabinet de conseil géopolitique McLarty Associates. Sur ce sujet, les Américains ont quatre ans de retard. »
Il faudra à Joe Biden et à son équipe une ardeur prométhéenne pour rattraper le temps perdu – et redonner des couleurs au soft power américain. Car l’assaut du Capitole, le 6 janvier, a laissé des traces. « Il a montré les dysfonctionnements du système américain, analyse Ludovic Tournès, historien à l’université de Genève. L’image du pays s’est dégradée, et le rêve américain, fondé sur l’idée d’un régime politique idéal, a pris du plomb dans l’aile. » Est-il mort pour autant ? « Non, il existe encore, mais il ne retrouvera toute sa force que lorsque la mobilité sociale sera à nouveau une réalité aux Etats-Unis, estime Jérémie Gallon. C’est le défi de Joe Biden : il veut rendre la société moins inégalitaire sans tomber dans les excès égalitaristes de certains pays européens où des politiques d’aide trop fortes freinent, selon lui, l’ascension sociale. C’est en trouvant ce juste milieu que l’Amérique continuera à attirer les meilleurs talents. » Et fera éclore les prochains Sundar Pichai – né en Inde, aujourd’hui PDG de Google – ou Elon Musk, qui, arrivé aux Etats-Unis à 21 ans, symbolise mieux que personne avec ses voitures électriques et ses engins spatiaux le nouveau rêve américain !