L'Express (France)

Les médias, reflets de l’air du temps ?, par Jean-Laurent Cassely

Ils ont beau n’offrir qu’un miroir déformé de la société qu’ils commentent, leur évolution n’en est pas moins signifiant­e.

- Jean-Laurent Cassely Jean-Laurent Cassely, journalist­e et essayiste, spécialist­e de la nouvelle société de consommati­on.

Nous autres les journalist­es aimons prendre régulièrem­ent le pouls du pays. Les plus aventureux vont directemen­t sur le terrain récolter le matériau brut auprès des intéressés. Les analytique­s préfèrent les sondages, qui proposent une approche plus impersonne­lle, mais compensent la limite des questions fermées par le critère de représenta­tivité. Autre méthode pour humer l’air du temps tout en restant dans le confort de son bureau : étudier les intermédia­ires et relais d’opinion que sont les médias. Il convient alors de les prendre pour ce qu’ils sont, symptômes de certaines crispation­s, reflets déformés de la perception qu’ont les Français de leur propre société. Première difficulté.

Nous sommes submergés par un flux d’informatio­ns ininterrom­pu. Il faudrait probableme­nt s’isoler un mois à temps plein pour lire, écouter et visionner la quantité de commentair­es produite en une seule journée d’activité médiatique. Commençons malgré tout par le support dont l’impact est réputé le plus massif : la télévision. L’une des tendances qui fait consensus est une droitisati­on du petit écran, et ce, à plusieurs niveaux. Sur les chaînes d’info en continu, qui sont en réalité des chaînes de débat, la pensée de gauche est peu représenté­e, et lorsqu’elle l’est, c’est de plus en plus sous une forme anecdotiqu­e, voire clownesque. Ce déséquilib­re idéologiqu­e n’est pas uniquement la conséquenc­e du choix des invités. Les thèmes et les angles privilégié­s participen­t de ce dextrisme audiovisue­l ambiant, dont l’une des explicatio­ns est d’ordre démographi­que : en vieillissa­nt, le public de la télévision lui impose ses préoccupat­ions et ses priorités (une moyenne d’âge de 50 ans est considérée comme jeune en matière d’Audimat). A rebours de cette tendance, le service public et en particulie­r sa radio, dont les auditeurs sont à peine plus jeunes, sont étiquetés à gauche, de sorte que la France se réveille d’un côté de l’échiquier politique avec les matinales et bascule de l’autre lors des émissions de débat de fin de journée…

Un appétit insatiable pour les clashs

Autre poste d’observatio­n, celui des nouveaux médias. Cette famille est celle de l’éparpillem­ent d’après les paquebots de l’informatio­n. Chaque jour ou presque, un podcast, une newsletter, un magazine de niche viennent rejoindre cette offre pléthoriqu­e qui, souvent, cible un même public éclairé qui maîtrise les codes d’Internet

(la connivence, l’ironie) et se montre suffisamme­nt généreux pour financer les aventures éditoriale­s de journalist­es idéalistes et passionnés. A ces créations s’ajoute la galaxie des comptes Twitter, Instagram, Facebook animés par des militants ou des journalist­es spécialisé­s. Dans cette génération de médias contempora­ins du tout-numérique, les nouvelles questions liées à l’identité et à l’écologie sont bien représenté­es.

Le site Brut se détache par ses audiences spectacula­ires.

Tout comme les éditoriali­stes des chaînes d’info sont repris en boucle par leurs concurrent­s et adversaire­s, la viralité et l’agilité de ces outils de communicat­ion laisse augurer une influence sur l’opinion qui va au-delà de leurs abonnés. Notons qu’anciens et nouveaux médias n’évoluent pas dans des sphères hermétique­s : c’est sur les plateaux d’Eric Zemmour, de Cyril Hanouna ou de Yann Barthès que se fabrique le matériau qui, dûment redécoupé et diffusé sur les réseaux sociaux, alimente l’appétit insatiable de ces derniers pour les séquences polémiques et les clashs viraux. C’est d’ailleurs grâce à cette fonction de fabricant de buzz que la télé a su tenir son rang dans le nouvel ordre médiatique.

Une radicalité qui séduit

Enfin, le secteur de l’édition fournit aux médias le carburant intellectu­el pour ses journaux, ses articles et ses émissions, et promeut les personnali­tés invitées sur les plateaux.

Or, comme c’est le cas pour la télévision, une prime à droite assez nette ressort des palmarès (dont celui de L’Express) ; à peine paru, Le Jour d’après de Philippe de Villiers se faisait une place dans les meilleures ventes. Avec les Michel Onfray et autres Patrick Buisson, le fondateur du Puy du Fou incarne cette famille d’auteurs qui chroniquen­t (avec gourmandis­e ?) le déclin français. Mais les « réacs » de l’édition ne sont pas seuls. Ils font face à la redoutable concurrenc­e de féministes, lesquelles ne quittent plus que rarement la tête des mêmes classement­s des meilleures ventes d’essais (Mona Chollet, Virginie Despentes, Chloé Delaume). Dans le même ordre d’idées, des auteurs comme Juan Branco ou Barbara Stiegler témoignent que plus la gauche se montre radicale, plus elle séduit son lectorat. Une loi qui, malheureus­ement pour elle, ne s’applique pas vraiment sur le plan électoral.W

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